Revue d’histoire de la protection sociale 2018/1 (N° 11)
L’histoire de la protection sociale dans les pays d’Europe centrale et du Sud-Est demeure un thème peu étudié. Les modèles établis pour rendre compte de l’histoire de l’État-providence occidental ne conviennent pas pour décrire les formes d’organisation de la protection sociale dans cette partie de l’Europe. En outre, la plupart des travaux disponibles dans ce domaine restent calés sur les ruptures que sont les régimes politiques (régimes impérial, démocratique, autoritaire, occupation, communisme) ; peu de recherches portent sur une période couvrant deux régimes. Par ailleurs, les historiographies nationales minimisent en général le développement de la protection sous les régimes impériaux au cours du XIXe siècle. Or, les initiatives réformatrices trouvèrent alors des impulsions diverses entre autonomies municipales, fondations philanthropiques, mobilisations nationalistes et essor des sciences sociales.
Ignorant ces césures, les études publiées ici privilégient quatre organisations philanthropiques actives durant une période relativement courte mais décisive, de la fin du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, au cours de laquelle les trois empires qui les réglementaient disparurent au bénéfice d’États nationaux. Les contributions décrivent des institutions diverses : certaines ont un ancrage local fort, comme la première consultation de protection maternelle et infantile, la « Goutte de lait » ouverte à Łodz (Morgane Labbé) ou comme la « Société d’aide aux pauvres et de lutte contre la mendicité » créée à Zagreb et à Belgrade (Stefano Petrungaro). En revanche, d’autres, comme la « Fondation patriotique pour la protection de l’enfant en Grèce » (Vassiliki Theodorou), affichent tôt une ambition nationale. Enfin, certaines, comme l’Alliance israélite universelle (Barbara Lambauer), interviennent dans un espace transnational. L’ambition des recherches réunies ici est d’ouvrir des réflexions nouvelles sur la genèse et la dynamique de la protection sociale dans les sociétés est-européennes. Ce n’est pas seulement une histoire longue de la protection sociale que l’on contribue à restituer, mais aussi la dynamique propre que les associations philanthropiques ont initiée. Le private welfare qui se substitua, ou bien anticipa les systèmes publics longtemps inexistants, joua un rôle important ; il persista dans la plupart des nouveaux États, les deux secteurs coexistant pour composer une économie mixte de la protection. Ce dossier, dont Morgane Labbé a assuré la coordination, entend ainsi contribuer à une histoire comparée et transnationale de la protection sociale.
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