RFAS 2025-3/ Appel à contribution pluridisciplinaire sur : “Les encadrements de la paternité”

Pour le troisième numéro de la RFAS de 2025

Le dossier sera coordonné par Romain Delès (Université de Bordeaux, Centre Émile-Durkheim, IUF), Hélène Guedj (Bureau Jeunesse et Famille de la Drees), Marie-Clémence Le Pape (Université Lumière Lyon-2, Centre Max-Weber, Bureau Jeunesse et Famille de la Drees), Alix Sponton (Cresppa, Ined-iPOPs), Pauline Virot (Bureau Jeunesse et Famille de la Drees)

Cet appel à contribution s’adresse aux chercheuses et chercheurs en anthropologie, sociologie, sciences de l’éducation, économie, histoire, sciences politiques, ou droit.

Les propositions sont attendues pour le mardi 12 novembre 2024.

Les auteur·trices intéressé·es sont invité·es à envoyer une brève note d’intention (une page, environ 500 mots) indiquant le titre provisoire de leur article, le terrain mobilisé, la problématique envisagée et une bibliographie indicative, sous format Word. La note ne devra pas faire apparaître les noms des auteur.es

Les propositions doivent être envoyées à l’adresse suivante :

RFAS-DREES@sante.gouv.fr

(Ne pas envoyer les propositions directement aux coordinateurs, et ce afin de garantir l’anonymat des propositions.)

Les articles sont attendus avant le lundi 18 mars 2025.

La RFAS attire votre attention sur le fait qu’elle s’engage à publier votre article durant le quatrième trimestre de l’année 2025, ce qui exclut la possibilité de demander un délai pour l’envoi de la proposition comme de l’article mais garantit une publication dans l’année.

Nous proposons de consacrer un numéro de la RFAS aux encadrements de la paternité, c’est-à-dire à la manière dont différentes sphères, institutionnelle, médico-sociale, professionnelle, encouragent ou freinent les hommes, explicitement ou implicitement, dans l’investissement parental. Il fait suite à deux numéros récents de la RFAS consacrés aux parentalités « bousculées » et « empêchées » (RFAS 2019/4 ; RFAS 2023/2), qui donnaient à voir l’exercice et l’expérience de parentalité dans des contextes singuliers. En visant en particulier la parentalité des pères, ce numéro tente de donner un espace à un ensemble riche et composite de travaux unis par l’ambition de décrire les conditions de l’expérience parentale des hommes.

Les attentes vis-à-vis des pères se sont largement redéfinies depuis les années 1970. La figure du « chef de famille », autoritaire, distant et dont la principale contribution à la vie familiale est d’ordre économique (la figure du père comme « breadwinner »), a été remise en cause. Le modèle du « nouveau père », proche de ses enfants sur le plan affectif et investi dans leur éducation quotidienne est encouragé à s’y substituer (Coltrane, 1996 ; Dermott, 2014). L’évolution de ces représentations trouve écho dans l’action publique, qui valorise l’implication paternelle, comme en témoignent l’adoption du congé de paternité en 2002 et son allongement en 2021, ou le développement de la garde alternée après une séparation conjugale (Martial, 2013 ; Steinmetz, 2022). Dans la sphère médicale, de même, la participation des pères pendant la grossesse et à la naissance est encouragée (Jacques, 2012 ; Truc, 2006).

Dans les faits, cependant, les femmes continuent d’assurer la majorité du travail parental dans les sociétés occidentales contemporaines (Craig, 2016 ; Delès, 2022 ; Hook, 2006) et en France en particulier (Champagne, Pailhé et Solaz, 2015 ; De Saint Pol et Bouchardon, 2013). La littérature internationale démontre bien l’articulation des sphères publiques et privées, des inégalités domestiques et professionnelles, et permet de comprendre les écarts d’investissement dans la parentalité entre hommes et femmes comme une clé d’explication du caractère « bloqué » de la révolution des rôles de genre (England, 2001). La division du travail parental est donc une dimension décisive de la persistance du « plafond de verre » et des inégalités économiques entre femmes et hommes (Périvier, 2015 ; 2020). Les pères passent peu de temps seul avec leur(s) enfant(s), la majorité des activités parentales qu’ils réalisent s’effectuant en présence des conjointes (Charavel, 2016). Ainsi, les pères sont moins responsabilisés pour le bien-être de l’enfant que les mères, qui restent les principales cibles de prescriptions « intensives » (Garcia, 2011 ; Gojard, 2010 ; Hays, 1996). Par ailleurs, l’identité masculine reste étroitement liée à l’activité économique (Merla, 2007) et à la figure de l’employé « idéal » (Williams, 2001), entièrement disponible à l’égard de son emploi et donc libre de contraintes familiales.

Face à ce constat, la littérature suggère que de larges changements institutionnels et organisationnels seraient nécessaires pour observer un plus grand investissement masculin dans les tâches parentales et ménagères (Boyer et Céroux, 2010 ; Hochschild et Machung, 2012 ; Hook, 2006). Pourtant, peu de travaux permettent d’envisager de manière systématique les formes d’encadrements des paternités et leurs effets concrets sur l’implication parentale des pères. Ce numéro cherche à combler cette lacune en interrogeant les modalités de régulation de la paternité contemporaine. Qu’est-il concrètement attendu (ou non) des hommes vis-à-vis de la parentalité ? Quels pratiques et discours façonnent la paternité ? Comment se positionnent les hommes par rapport à cet encadrement ? Les cadres de la paternité font-ils une place à la diversité des formes de paternités, en particulier non hétérosexuelles et monoparentales ?

Le numéro fait appel à des travaux insérés dans une diversité de discipline. Les chercheur·euses issu·es de l’anthropologie, de la sociologie, des sciences de l’éducation, de l’économie, de l’histoire, des sciences politiques, ou encore du droit qui, par leurs travaux, analysent les formes de régulation de l’implication paternelle sont invité·es à proposer un article.

Plus précisément, à travers ce numéro, nous proposons de discuter :

– Les pratiques d’encadrement de la paternité dans la sphère privée et publique. Il s’agit par exemple d’explorer les dispositifs (publics, managériaux…) et le travail d’encadrement réalisés par différentes catégories de professionnel·les (de la santé, du droit, de l’école, de la protection de l’enfance, des services de ressources humaines, etc.). L’encadrement de la paternité semble parfois être indirect (par exemple, parce que les préconisations s’adressent le plus souvent aux mères, qui constituent ensuite un relais). Les contributions sont donc également invitées à explorer plus largement le rôle des proches et de la famille.

– En miroir, la réception de cet encadrement par les pères, c’est-à-dire la manière dont les pères s’en saisissent concrètement. Notamment, dans quelle mesure et comment les normes éducatives ou médicales sont-elles effectivement mises en pratique ? Dans quelle mesure les différents dispositifs sont investis ou au contraire ignorés ? Les propositions pourront également questionner les marges de manœuvre dont les hommes disposent pour s’approprier les dispositifs et en faire un usage qui ne correspond pas toujours aux objectifs initialement visés. En particulier, l’appel à article encourage les contributions interrogeant la réception des normes de paternité portant sur des situations de pères diverses, non nécessairement insérées dans des couples hétérosexuels, biparentaux et cohabitants.

– Au-delà de la comparaison des différences d’encadrement entre femmes et hommes, les propositions pourront être incitées à explorer les différences d’encadrement entre hommes. Les formes d’encadrement sont-elles les mêmes pour toutes les catégories sociales ? Par exemple, certains travaux montrent que des profils de pères particuliers (notamment, ceux issus de classes populaires, de l’immigration ou les jeunes pères) sont davantage la cible de contrôle (Berton, Bureau et Rist, 2017 ; Martial, 2013; Quennehen et Unterreiner, 2022). À l’inverse, par leur position avantageuse sur le marché de l’emploi, certains hommes peuvent négocier ou bénéficier de dispositifs d’articulation famille-travail qui ne sont pas accessibles à tous (autonomie horaire, télétravail, congés supplémentaires, etc.). Enfin, certains hommes sont confrontés à des freins institutionnels dans l’accès à la paternité (pères en solitaire, couple d’hommes). La question de la construction et de la recomposition des masculinités au regard de l’implication parentale des hommes pourra être interrogée.

L’appel est construit autour des trois axes thématiques suivants. Il est nécessaire cependant de garder à l’esprit que les contributions « transversales », qui touchent les intérêts mentionnés ci-dessus, seront les bienvenues.

Axe 1 – L’encadrement par les institutions

Cet axe pose la question de l’encadrement de la paternité par l’État, les politiques et les institutions publiques. L’exercice de la parentalité pour les pères opère dans un cadre de normes juridiques et sociales. Il prend corps au travers de lois, de règles ou d’incitations qui varient dans le temps et dans l’espace. Les contributions historiques ou comparatives sont donc bienvenues dans cet axe. Voici quelques suggestions thématiques portant sur l’analyse des politiques familiales, sur la justice ou sur les institutions éducatives, mais l’appel reste bien entendu ouvert à d’autres institutions.

Avant tout, l’analyse des politiques sociales et familiales doit être envisagée dans cet appel, tant elles contribuent à définir le degré et la nature de l’implication des pères dans les activités parentales (Hobson, 2002). Les politiques publiques comme les services de garde accessibles, le système fiscal ou le fonctionnement des politiques de congés, par exemple, contribuent à reproduire ou au contraire à redéfinir les rôles socialement assignés aux hommes et aux femmes (Collombet, 2016 ; Fagnani, 2001). Toutefois, les politiques spécifiquement destinées au soutien à la paternité sont encore très rares (Boyer et Céroux, 2010) et se concentrent principalement sur les congés destinés aux pères après une naissance, comme les congés de paternité ou les périodes de congés parentaux réservés aux hommes (« daddy quotas »). Même lorsque de telles mesures sont mises en place, il existe parfois d’importants écarts entre les droits dont les pères peuvent théoriquement bénéficier et les manières dont ils en font effectivement usage. Ainsi, en France, moins de 1 % des hommes posent un congé parental (congé peu ou non indemnisé permettant d’interrompre entièrement ou partiellement son activité jusqu’à deux ans avant les trois de l’enfant), contre 13 % des femmes, en dépit de la réforme PreParE de 2015 qui visait à atteindre un taux de recours masculin de 25 % (Périvier et Verdugo, 2021). Par ailleurs, en pratique, les pères peuvent parfois faire des usages récréatifs ou professionnels du congé parental (Chatot, 2017) ou du congé de paternité (Sponton, 2023), éloignés des objectifs institutionnels qui leur sont conférés. Dans l’ensemble, comment les politiques publiques considèrent-elles l’implication des pères auprès des enfants ? Quelles ont été les évolutions en la matière ? Quelle place, ou quelle absence de place, est faite aux paternités non hétérosexuelles ou monoparentales ? Quels sont les objectifs qui sous-tendent les politiques de soutien à la paternité (fécondité ? inégalités femmes-hommes ? bien-être de l’enfant ?). En pratique, comment les pères s’emparent (ou non) des politiques familiales ? Les encouragements à la participation des pères contribuent-ils à modifier les pratiques ?

Deuxièmement, l’encadrement juridique des paternités pourra être interrogé. Dans ce cadre, les contributions pourront par exemple étudier les situations de séparation des parents, qui sont au cœur des enjeux de définition des rôles parentaux et donnent à voir la place sociale accordées par les institutions aux pères. En 2002, en introduisant dans le Code civil la possibilité de résidence alternée des enfants suite à la séparation de leurs parents, les législateurs français ont institutionnalisé le principe de « coparentalité ». Mais qu’en est-il vingt ans plus tard ? En pratique, la résidence alternée reste minoritaire. Elle dépend de l’âge des enfants et de la position sociale des parents (Bessière, Biland et Fillot-Chabaud, 2013). Alors que la place des pères après une séparation conjugale devient une préoccupation politique, que sait-on de l’implication différenciée du père après une séparation, des pères absents aux pères quotidiens (Martial, 2013) ? Aujourd’hui, 86 % des enfants dont les parents ne vivent pas ensemble résident principalement chez leur mère, 2 % chez leur père et 12 % sont en résidence partagée la moitié du temps chez chacun de leurs parents. La proportion des résidences partagées a été multipliée par deux en dix ans (Bloch, 2021). « Les femmes séparent moins que les hommes les deux temps de l’alternance, étant plus “présentes” aux enfants quand ils ne vivent pas avec elles » (Hachet, 2021). Comment les pères reçoivent-ils cette norme de coparentalité ? Comment les pères, notamment les plus précaires, se l’approprient-ils ? Il importe donc de poser la question des rapports de genre qui se déploient à l’intérieur du cadre de la “coparentalité” (Biland et Schütz, 2014). 

Enfin, toujours dans ce premier axe, les éventuelles contributions traitant de l’encadrement des paternités par les institutions éducatives ont toute leur place. Les modes d’accueil des jeunes enfants, l’école et les structures périscolaires, dans leurs relations avec les parents, véhiculent des normes et suggèrent des formes d’engagement parental des pères. Les recherches se sont jusqu’à présent principalement portées sur les mères comme récipiendaires des normes de parentalité dans les institutions de petite enfance (Garcia, 2011 ; Blöss, 2016). De même, l’aide au travail scolaire est pensée comme relevant principalement des mères (Charavel, 2016 ; Jauneau et Octobre, 2008). Or, les pères tendent à prendre un rôle important dans la scolarité des enfants, notamment lorsqu’il s’agit de questions d’orientation scolaire (van Zanten, 2009). Comment les institutions de petite enfance et l’école s’adressent-t-elles aux pères ? Quelle sorte d’interlocuteurs les pères sont-ils ? Quelles tentatives de mise en conformité ou au contraire de résistances peut-on observer dans la relation des pères à ces institutions ?

Axe 2 – L’encadrement médical

Cet axe permet d’approcher la question des pratiques et de la réception de l’encadrement de la paternité exercé par la sphère médicale. Si l’encadrement médical des mères constitue un axe d’analyse déjà ancien des recherches en sciences sociales (Garcia, 2011), dont les questionnements se renouvellent à mesure que les normes évoluent (Vozari, 2015), celui des pères reste moins investi.

Quel est l’encadrement des pères pendant le parcours de grossesse et au moment de l’accouchement ? Alors que la norme d’un père présent et impliqué dès la naissance de son enfant se diffuse largement (Coltrane, 1996 ; Dermott, 2014 ; Sponton, 2023), sous quelle(s) forme(s) et par qui ces injonctions sont-elles relayées ? En effet, alors que les pères ont longtemps été exclus des politiques de périnatalité, la norme d’un père « à inclure » est aujourd’hui de plus en plus prégnante (Jacques, 2007 ; Truc, 2006 ; Thomas, 2020). Comment s’est construite historiquement cette norme d’inclusion ? Quels en sont les sous-bassements théoriques et comment se traduit-elle actuellement dans les dispositifs d’accompagnement des (futurs) parents ? Quels sont, par ailleurs, les pères les plus réceptifs aux recommandations portées par le champ médical (médecin, sage-femme, puéricultrice, etc.) ? Que retiennent-ils, en pratique, des différents conseils qui peuvent leur être apportés ?

On pourrait également s’intéresser à l’appropriation, par les pères, de normes qui concernent ou s’adressent plus particulièrement à leur conjointe. Si la question de la santé psychique des mères constitue un enjeu majeur des politiques actuelles (voir son inscription dans le programme des 1 000 premiers jours, promu par le gouvernement français), quelles sont les répercussions pour eux de ce message affirmant que « si maman va bien, bébé va bien » (Vozari, 2015) ? Comment les pères expriment-ils de leur côté leur(s) propre(s) difficultés relatives à la paternité ?

De même, l’allaitement constitue aujourd’hui un enjeu de santé publique incontournable. Comment les hommes reçoivent-ils les recommandations sur l’allaitement et comment cette pratique est-elle décidée ou négociée au sein du couple (Maurice et al., 2021) ? La question alimentaire est également particulièrement vive lorsque l’enfant grandit : on sait que les pères s’impliquent de plus en plus dans le travail alimentaire familial et qu’ils valorisent davantage que les mères le plaisir (Cardon, 2019), mais il pourrait être pertinent d’approfondir davantage comment se construisent leurs standards alimentaires.

Si la place des pères pendant la petite enfance est au cœur des politiques actuelles de soutien à la parentalité, il pourrait aussi être intéressant de regarder comment cette norme d’un père « à inclure » se décline quand l’enfant grandit. Qu’est-il attendu de lui lors de l’entrée à l’adolescence, par exemple ? À cet égard, les conseils donnés aux parents (père et mère) sur la gestion des écrans pourraient être revisités sous l’angle du genre.

La question de l’encadrement médical des pères gagnerait enfin à être pensée à l’aune des avancées biotechnologiques qui bouleversent fortement les questions de parenté (Feuillet-Liget et al., 2014). Avec les progrès de la biomédecine, reproduction, filiation et parentalité apparaissent aujourd’hui plus qu’avant déconnectées : comment évoluent les pratiques, les normes et les représentations dans ce contexte ? Alors qu’en France un enfant sur 30 est conçu par assistance médicale à la procréation (de la Rochebrochard, 2018), quelle est la place donnée aux pères dans ces parcours d’AMP ? L’imaginaire collectif associe souvent l’AMP à l’idée d’avoir recours à un tiers donneur pour avoir un enfant, alors que 95 % des enfants conçus par AMP le sont avec les gamètes de leurs deux parents (de la Rochebrochard, 2018). Que révèle cet imaginaire des débats actuels sur le « vrai » père de l’enfant ? L’essor du recours aux tests de paternité, tout comme l’inscription récente dans la loi française du droit d’accès aux origines dans le cas des dons de spermatozoïdes, semblent traduire ce même mouvement de recherche « de la véritable nature de la relation de parenté » (Déchaux, 2018). Pour Jean-Hugues Déchaux, ce recours aux tests génétiques, qu’ils soient à l’initiative d’un individu (et donc non recevables selon le Code civil) ou ordonnés par le juge, traduit « la promotion d’une parenté génétique associée à une conception naturaliste et biologique de l’intérêt de l’enfant » (Déchaux, 2018, p. 43). Comment le droit de la famille navigue-t-il entre une conception génétique de la filiation paternelle et des dispositions qui visent à reconnaître aussi le père d’intention ? Que traduit « cette quête des origines » (Martial, 2022), notamment pour celles et ceux qui se lancent à la recherche de leur ascendant ?

Axe 3 – L’encadrement professionnel

Cet axe aborde la question des pratiques et de la réception de l’encadrement de la paternité exercé au sein de la sphère professionnelle. La littérature sur les paternités et les inégalités de genre a largement souligné comment les organisations professionnelles contribuent à cadrer la participation des hommes aux soins aux enfants, principalement en la décourageant (Russell et Hwang, 2004). L’« employé idéal » (Williams, 2001), valorisé par les normes et pratiques managériales, doit être pleinement disponible et mobile pour répondre aux besoins de l’entreprise, ce qui implique d’être libre de toute contrainte familiale (Acker, 2006). Les pères en mesure de déléguer les tâches parentales et ménagères, en premier lieu aux mères, sont ainsi avantagés dans leur progression de carrière et dans l’accession à des positions de dirigeants (Guillaume et Pochic, 2007). Dans l’ensemble, l’investissement professionnel des hommes reste remarquablement stable après l’arrivée d’un enfant, en comparaison au choc entraîné par les naissances dans les trajectoires des femmes (Meurs et Pora, 2019 ; Pailhé et Solaz, 2009). Certains travaux suggèrent même que, par rapport aux autres hommes, les pères en couple bénéficieraient d’une « prime de paternité » (« daddy bonus ») (Hodges et Budig, 2010), en partie car les managers percevraient ces « chefs de famille » comme plus susceptibles de s’engager dans la sphère professionnelle et plus aptes à occuper des postes à responsabilités (Gadéa et Marry, 2000).

Dans ce contexte, la diffusion des normes contemporaines d’implication paternelle au sein des entreprises semble loin d’être évidente. Dans l’ensemble, comment est prise en compte la parentalité masculine dans le monde du travail ? Y a-t-il eu des évolutions au fil du temps en la matière ? En miroir, quelles sont les attentes des hommes vis-à-vis de leur employeur ou employeuse en matière d’articulation famille-emploi ? Et comment les manager·euses y répondent-ils·elles ?

Si on sait que le soutien apporté pour faciliter l’articulation entre sphères familiale et professionnelle est très inégal selon les établissements, leur taille, les secteurs d’activités ou encore la féminisation des équipes (Lefèvre, Pailhé et Solaz, 2009), qu’en est-il plus particulièrement du soutien à la paternité ? Par exemple, quelles sont les caractéristiques des entreprises qui mettent en place des mesures visant à soutenir l’engagement parental des hommes ? Ou, à l’inverse, celles qui y apparaissent particulièrement réticentes ? Quelles formes prennent concrètement les mesures visant à favoriser l’engament paternel (avantages financiers, congés, flexibilité horaire, formations ou événements dédiés à ces sujets, etc.) ? Et quels sont les motivations et intérêts amenant les entreprises à adopter des engagements sur le sujet de la paternité au-delà des obligations légales (comme la signature de la « charte de la parentalité en entreprise » ou la mise en place de congés de paternité mieux indemnisés ou plus longs que ceux prévus par la loi) ?

À l’échelle plus locale des équipes et de leurs responsables, des études récentes observent que la mise en avant de son adhésion à l’idéal d’égalité femmes-hommes permet à des managers et dirigeants masculins de se démarquer de leurs concurrents ou de gagner en légitimité (Bereni et Jacquemart, 2018 ; Le Renard, 2014 ; Rivoal, 2021). Le soutien à l’engagement paternel suit-il des logiques similaires ? Est-il d’ailleurs associé au sujet des inégalités de genre, ou à d’autres enjeux ?

En dehors des objectifs affichés ou poursuivis, quelles mesures ou contextes professionnels favorisent ou freinent, en pratique, l’engagement des hommes dans la sphère familiale ? Cette question invite tout autant à explorer comment les pères s’adaptent aux environnements professionnels dans lesquels ils évoluent eux-mêmes, que leurs réactions aux contraintes ou opportunités liées à l’emploi de leur partenaire lorsqu’ils sont en couple. Par exemple, on sait que les horaires décalés des mères est un « facteur d’enrôlement » des hommes dans le travail domestique au sein des couples hétérosexuels (Cartier et al., 2021 ; Maublanc, 2009). Mais alors que les horaires non standards apparaissent davantage conflictuels lorsqu’ils concernent les femmes que les hommes (Lambert, Quennehen et Segú, 2023), comment se met concrètement en place cet « enrôlement » ?

Entre autres possibilités (flexibilité ou non des horaires, fréquence du travail partiel, congés parentaux, etc.), on pourrait questionner les implications du télétravail. Pendant les périodes spécifiques des confinements liés à la crise sanitaire, des études ont observé que les hommes qui travaillaient à domicile ont accru leur contribution aux tâches parentales et ménagères avant tout si leur compagne continuait de travailler sur site (Dominguez-Folgueras, 2021 ; Landour, 2024). Qu’en est-il depuis, alors que le recours au télétravail s’est diffusé ? Si le télétravail peut être contraire aux normes organisationnelles (Le Gagneur et Noûs, 2021), comment les managers perçoivent-ils et encadrent-ils les possibilités offertes par le travail à distance en matière d’articulation famille-emploi ?

 

Références bibliographiques

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RFAS-DREES@sante.gouv.fr

Les auteur·es souhaitant proposer à la revue un article sur cette question devront soumettre avant le mardi 12 novembre 2024 leur proposition.

La version définitive du texte est attendue avant le lundi 18 mars 2025.

Elle doit comprendre un résumé et une présentation de chaque auteur·e.

(Voir les « conseils aux auteurs » de la RFAS https://drees.solidarites‑sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/Charte%20deontologique%20et%20conseils%20aux%20auteurs.pdf )

Nous rappelons aux auteur.es le caractère pluridisciplinaire de la revue et l’exigence d’articles accessibles pour un lectorat profane.