Appel à contribution pluridisciplinaire sur :
« Financement et fonctionnement du monde associatif :
la marchandisation et ses conséquences »
Pour le quatrième numéro de 2023 de la RFAS
Le dossier sera coordonné par Simon Cottin-Marx (EMA, LATTS), Camille Hamidi (Lyon 2, Triangle) et Arnaud Trenta (CNAM –Lise).
Des travaux de toutes les disciplines s’intéressant au secteur associatif sont attendus. Cet appel à contribution s’adresse toutefois plus spécifiquement aux chercheuses et chercheurs en sociologie, science politique, mais aussi en droit, économie, histoire et anthropologie.
Les contributions concernant le secteur social entendu au sens large seront particulièrement appréciées (urgence sociale, logement, aide à la personne, sanitaire et social, mais aussi économie sociale et solidaire et insertion), qu’elles portent sur la France ou sur des terrains étrangers.
Des analyses ciblées sur des monographies d’association seront les bienvenues, de même que des travaux plus comparatifs et éventuellement quantitatifs.
Les propositions sont attendues avant le 16 janvier 2023
pour une séance de travail le 16 mars 2023.
Nous attendons en format .docx des propositions d’une à deux pages, qui mentionnent l’axe (ou les axes) dans lequel l’article s’insérerait, présentent le terrain, la méthode, les grandes lignes de la démonstration qui sera proposée, et évoquent quelques repères bibliographiques permettant de situer l’auteur·rice.
Les articles définitifs seront attendus avant le 11 mai 2023.
Dans une perspective historique et multiscalaire, ce numéro de la RFAS s’inscrit dans l’analyse des rapports entre associations et pouvoirs publics (Cottin-Marx et al., 2017 ; Hamidi, Trenta, 2020) et vise à interroger la « marchandisation publique » du secteur non-lucratif : les transformations de la relation de la puissance publique à ce dernier, et les effets des processus de marchandisation sur la structuration du monde associatif. Le dossier portera en particulier sur les associations opératrices des politiques sociales, en France et plus largement dans le monde (Archambault, 2017).
ENCADRÉ 1 – Périmètre du monde associatif
Les associations sont des groupements de personnes réunies autour d’une activité ou d’un projet commun ayant un but autre que de partager des bénéfices. Ce sont des structures de droit privé, encadrées par la loi Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association[1], dix-sept ans après la reconnaissance des syndicats. Actuellement, les associations emploient 2,2 millions de salarié·e·s et, comme dans de nombreux pays occidentaux (Archambault, 2017), ce sont des rouages essentiels dans différents champs d’activité des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux : ceux de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile, de l’intervention sociale, de l’animation, mais aussi ceux du sport, de l’habitat, du tourisme, de la formation, de la défense des causes, ou encore de la culture (Tchernonog, Prouteau, 2019 ; Cottin-Marx, 2019).
Les associations jouent aujourd’hui un rôle majeur dans la mise en œuvre de l’action publique en France. Et c’est notamment à ce titre qu’elles sont largement soutenues par des financements publics. Il n’en a évidemment pas toujours été ainsi. Les relations avec la puissance publique ont connu de multiples transformations au cours de l’histoire récente.
Sous la troisième République et dans l’après-guerre, nous avons assisté à un mouvement de « publicisation du privé » (Hély, Moulévrier, 2013) avec le développement de l’État social, et, notamment sous l’influence de la pensée solidariste (Audier, 2010), l’État s’est saisi d’initiatives qui relevaient jusqu’alors de la sphère privée (personnelles, familiales, religieuses, communautaires). C’est le cas par exemple du handicap qui était pris en charge par les familles concernées avant de devenir une question publique et, à ce titre, de bénéficier de financements publics (Robelet et al., 2009). Un phénomène qui ne s’est pas limité à ce seul besoin social et qui a notamment contribué à structurer et professionnaliser de nouveaux secteurs d’activité, comme le secteur sanitaire et social (Brodiez-Dolino, 2013 ; Bec, 2014 ; Gaboriaux, 2021 ; Heiniger, 2021).
À partir des années 1980, les lois de décentralisation ont ensuite profité au monde associatif. En effet, les lois du 7 janvier et du 22 juillet 1983 ont transféré plusieurs blocs de compétences de l’État aux collectivités locales dans différents domaines : l’urbanisme et le logement, la formation professionnelle, l’action sociale et la santé, les transports, l’éducation, la culture et l’environnement, etc. Pour mettre en œuvre ces nouvelles missions d’intérêt général et de service public, les collectivités vont largement mobiliser les associations et alimenter leur salarisation (Hély, 2009).
Enfin, depuis les années 2000 et l’essor du New Public Management, nous assistons au développement d’une « market bureaucracy » (Considine, 1996), d’une relation d’acheteur-fournisseur entre la puissance publique, le monde associatif et le secteur privé lucratif, où la mise en concurrence pour l’accès aux financements publics est vue comme un élément constitutif de l’efficacité des associations. Se développe une « culture du contrat » (Cunningham, 2001) marquée par l’absence d’engagement sur le long terme tout en contenant des spécifications de travail ou de tâches très détaillées, avec des exigences en matière de performance, de respect des normes, etc. (Cunningham, James, 2009).
En France notamment, les financements publics au monde associatif ont été en constante augmentation jusque dans les années 2010 et stagnent depuis 2011, contrairement aux financements d’origines privées (au point que la part des financements publics dans le budget total des associations est devenue minoritaire). En 2005, les financements publics directs représentaient 51 % du budget total du monde associatif. En 2017, ce sont seulement 44 % des 114 milliards d’euros de budget cumulés (Tchernonog, Prouteau, 2019) qui venaient directement de la puissance publique. Cette augmentation des financements privés passe par un recours croissant à la vente de biens et de services aux usager·ère·s (Le Roy, Puissant, 2019) – qui sont eux-mêmes en grande partie solvabilisés par de l’argent public (allocations, crédits d’impôt, etc.) (Cottin-Marx, Devetter, 2022), mais aussi par le recours au don et à la philanthropie (Edwards, 2008 ; Lefèvre, 2011 ; Lambelet, 2014 ; Mosley, Galaskiewicz, 2015).
Par ailleurs, il est remarquable que, depuis le début de cette même décennie, les financements des associations passent moins par des subventions de fonctionnement ou même des appels à projets[2] que par des appels d’offres (relevant du code des marchés publics[3]) (Tchernonog, Prouteau, 2019). Ce processus de « marchandisation publique » conditionne fortement le travail associatif par le biais de la mise en concurrence des associations entre elles, ou encore par l’imposition de normes de fonctionnement et de prestation de service (Cunningham, 2001 ; Chauvière, 2010 ; Hardy, 2014) comme est venue le rappeler la médiatisation de la mise sur le marché de la plateforme d’écoute, destinée aux femmes victimes de violences, gérée par la Fédération nationale solidarité femmes (HCVA, 2021).
La « mise sur le marché » des associations (qu’il s’agisse des marchés publics ou de marchés privés) est initiée par la puissance publique (Nyssens, 2015 ; Cottin-Marx, et al. 2017), qui en fait une condition de ses propres financements. Ce processus a été initié plus précocement dans les pays anglophones (Weisbrod, 1998 ; Salamon, 2010), mais la France s’inscrit désormais dans cette dynamique suite aux diverses réformes de « modernisation de l’État » (Bezes, 2009) et à l’introduction des logiques marchandes et concurrentielles dans l’économie sociale et solidaire (ESS).
Cette transformation des relations entre pouvoirs publics et associations a pour conséquence la « marchandisation » (« Marketization ») (Eikenberry, Kluver, 2004) du secteur non-lucratif. Nous proposons dans ce dossier de qualifier ce processus de « marchandisation publique » en raison du rôle central joué par les pouvoirs publics dans l’imposition d’une logique marchande dans le monde associatif. La marchandisation publique englobe ces trois dimensions : la mise en concurrence des associations sur des marchés publics via des appels d’offres ; la tendance des associations à tirer leurs ressources sur des marchés privés plus ou moins régulés (privatisation des ressources) ; la diffusion de normes et de pratiques néo-managériales.
Ces dynamiques de néo-managerialisation du monde associatif commencent à être bien étudiées, particulièrement au sujet des conditions de travail et du rapport aux usagers (Alberti, 2019 ; Miaz, 2019 ; Cousinié, 2021). Toutefois, nombre de ces travaux sont monographiques ou sectoriels, et l’on connaît moins les dynamiques d’ensemble. De plus, jusqu’ici les recherches interrogent assez peu l’articulation entre ces trois éléments : les dynamiques de mise sur le marché, le développement de leurs ressources privées et l’importation des logiques de fonctionnement venues du privé qui en découle.
Ce dossier vise à combiner ces trois éléments d’analyse en examinant les effets politiques de ces évolutions, à la fois sur l’organisation interne des associations, leur gouvernance et les relations salarié·e·s/bénévoles, sur la politisation des militant·e·s associatifs, et sur les « bénéficiaires » de l’action. Par exemple, on rapproche souvent implicitement marchandisation et privatisation des ressources dans le cadre des logiques néolibérales et entrepreneuriales, mais le recours aux ressources privées peut également constituer un levier de politisation dans le contexte d’un État considéré comme autoritaire ou corrompu (Nicourd, 2009 ; Pereyra, 2013 ; Tumultes, 2015 ; Trenta, 2022). Enfin, si ces processus et leurs conséquences en termes de professionnalisation et de managérialisation sont bien réels et indiscutables, ils rencontrent aussi des freins, des limites, qui tiennent parfois à la résistance des acteurs mais aussi à l’imbrication de ces processus dans d’autres logiques (besoins non solvables, activités informelles, clientélisme, rôle des réseaux, etc.) qui viennent en modifier les contours.
Du point de vue des recherches sur le monde associatif, la période semble propice au développement de telles analyses. En effet, les travaux sur les associations ont longtemps été assez cloisonnés. Dans les années 1980 et 1990, ils abordaient essentiellement le secteur sous l’angle du bénévolat et de l’engagement, cherchant à caractériser les profils des bénévoles, du côté de la démographie et de la sociologie (Héran, 1998 ; Archambault, 2002) et à réfléchir aux transformations de l’engagement, en ce qui concerne la sociologie politique (Perrineau, 1994 ; Barthélémy, 2000). Dans les années 2000, les recherches ont connu un important renouveau, en lien avec les transformations du secteur, tout en restant assez segmentées. Du côté de la sociologie, des chercheur·euse·s ont proposé d’aborder le monde associatif, salarié et bénévole, sous l’angle du travail et plus seulement de l’engagement (Hély, 2009 ; Simonet, 2010 ; Ihaddadène, 2018). En science politique, après avoir appréhendé les associations sous l’angle des mobilisations collectives (Juhem, 1998 ; Péchu, 2008 ; Broqua, 2005), des auteur·rice·s ont proposé de les regarder sous l’angle des dynamiques de politisation (Hamidi, 2010; Rougier, 2011) puis de leur contribution à la mise en œuvre des politiques publiques (D’Halluin-Mabillot, 2012 ; Pette, 2014 ; Fischer, 2016 ; Chappe, 2019). En histoire, des initiatives récentes visent également à constituer cet objet en champ d’étude et de discussions (Mouvement Social, 2021 mais voir aussi Andrieu, Le Beguec, Tartakowsky, 2001). Ces dernières années, la constitution d’espaces d’échange entre les auteur·rice·s issus de différentes disciplines et intéressés par ce secteur d’activité représente une occasion propice au décloisonnement des travaux, afin de penser les conséquences croisées de ces ensembles de phénomènes. On pense par exemple au réseau thématique Sociologie du monde associatif, créé en 2004 au sein de l’Association Française de Sociologie, qui contribue à structurer le champ académique par l’organisation d’un séminaire pluriannuel, de colloques et publications[4], ainsi qu’au lancement de l’Institut français du monde associatif, en 2019, qui vise à faire dialoguer les acteur·rice·s du monde de la recherche et du secteur associatif pour faire reconnaître l’importance de ce dernier. C’est dans cette dynamique que s’inscrit ce numéro.
Dans cette tension entre privé et public existant depuis l’origine des associations mais renouvelée dans les différents contextes exposés (place du droit communautaire, décentralisation, New Public Management), comment le rôle politique des associations, les formes de politisation de leurs membres et leurs effets sur l’action publique sont-ils modifiés, particulièrement dans le secteur social, médico-social et sanitaire ? Ce dossier vise à caractériser la marchandisation qui touche le monde associatif et à examiner les conséquences que cela entraîne sur leurs actions, le travail qu’elles réalisent et leur rôle politique.
Cet appel propose quatre axes de réflexion :
1/ L’analyse des facteurs explicatifs du processus de marchandisation publique et le rôle des réseaux d’acteurs qui ont promu cette dynamique ;
2/ La caractérisation des dynamiques de marchandisation ;
3/ Les conséquences en matière de conditions de travail, de fonctionnement interne et de rôle politique des associations ;
4/ Et enfin les limites que rencontrent ces évolutions.
1/ Pourquoi la marchandisation publique ? Quels en sont les acteurs ?
Nous souhaitons dans un premier temps que puissent être caractérisés les facteurs explicatifs des dynamiques de marchandisation du monde associatif. Des articles pourront interroger les modalités concrètes du « mimétisme marchand de l’État » (Hassenteufel, Maillard, 2017), et plus largement des pouvoirs publics, du point de vue de ces derniers. Qu’est-ce qui conduit les administrations à avoir recours à la logique de marché pour financer les associations ? Est-ce le résultat de contraintes juridiques qui s’imposent à l’action publique ? Quel est le rôle exact de l’Union européenne et de la réglementation communautaire dans ces processus ?
Quelles différences selon les secteurs et les échelons territoriaux ? Comment se fait le travail d’attribution des subsides publics ? Le croisement des échelles et des points de vue permettra de mieux comprendre la fabrique de la marchandisation publique du monde associatif.
Nous attendons également des contributions qui étudient le rôle des réseaux et des acteur·rice·s qui soutiennent le développement de ces dynamiques. Nous attendons ici, d’une part, des contributions présentant les acteur·rice·s et les réseaux qui ont porté et portent ces évolutions dans le champ associatif et le monde politique. On pense par exemple au rôle de la Caisse des dépôts et consignations, aux réseaux des entrepreneurs sociaux, au rôle des « patron·ne·s » se réclamant de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) (Offerlé, 2021) ou de l’entrepreneuriat social. L’évolution du profil des responsables associatifs et des salarié·e·s pourrait aussi être étudiée dans cette optique : comment la transformation du profil social des membres des conseils d’administration, des responsables administratifs ou des salarié·e·s a pu contribuer au développement d’une culture managériale dans les associations et modifier les conditions du dialogue avec les pouvoirs publics (avec des dynamiques d’isomorphisme institutionnel) ?
2/ Caractériser les dynamiques de marchandisation
Nous souhaitons ici que des articles permettent de mieux appréhender les différents volets de la marchandisation publique. Du côté de la mise en concurrence des associations sur des marchés publics, des articles pourraient étudier la manière dont les associations répondent aux appels d’offres et ce que cela produit sur leurs activités. En ce qui concerne le développement des financements privés dans le budget des associations, il s’agirait aussi d’examiner comment cela se passe concrètement, et ce que cela génère. Globalement, le financement public reste conséquent dans le paysage associatif français, ce qui implique de respecter des normes publiques pour mettre en place des interventions. Même lorsqu’il y a une demande de participation des usager·ère·s (service à la personne, petite enfance, etc.), un mécanisme public de solvabilisation peut intervenir à travers des crédits d’impôt ou des allocations. Certains articles pourront analyser ce cadrage public, plus ou moins explicite, du recours aux fonds privés et en préciser l’ampleur. Par ailleurs, l’appel aux dons des associations est encadré par des mesures administratives et fiscales censées garantir le bon usage des fonds collectés auprès des particuliers, des entreprises et des fondations. Comment la reconnaissance d’utilité publique ou d’intérêt général, le recours aux instances de labellisation (don en confiance, etc.) ou la création de fonds de dotation s’articulent-ils avec l’obtention des financements publics ? Quels en sont les effets sur le fonctionnement interne des associations et leurs relations avec les pouvoirs publics et les usager·ère·s ?
3/ Comment la dynamique de marchandisation publique du monde associatif se traduit-elle concrètement dans les secteurs de l’action sociale, sanitaire et médico-sociale ? Quels en sont les effets sur les associations ?
Notre interrogation vise trois niveaux de conséquences. D’une part, le fonctionnement interne des associations, tant d’un point de vue politique (gouvernance) que des conditions de travail de leurs salarié·e·s, et bénévoles. Les articles pourront s’intéresser aux normes d’action ainsi produites, aux modes d’organisation du travail, aux conditions de travail des salarié·e·s, ainsi qu’aux enjeux de gouvernance interne (François, 2015 ; Cottin-Marx, Paradis, 2020). C’est à ce niveau que des articles seraient amenés à interroger l’ampleur des processus de rationalisation effectivement mis en œuvre. Les contributions pourraient par exemple questionner ce que le développement des marchés publics ou des contrats à impact social fait aux organisations. Comment cela participe à la production de services administratifs spécifiques, à la réponse aux appels d’offres et à la « mesure de l’impact ».
C’est aussi à ce niveau que la question de l’évaluation de l’action associative pourra être examinée. Les associations mettent en avant le fait qu’elles évaluent leur action, par nécessité ou par choix : selon quelles modalités cette évaluation est conduite, avec quels critères, pour quels usages et quel sens ? Aujourd’hui, un véritable marché de l’évaluation se met en place, des contributions qui le documentent et l’analysent seraient très appréciées.
D’autre part, nous attendons que des contributions questionnent les rapports des associations avec les pouvoirs publics, d’un point de vue démocratique et de citoyenneté (Alexander, Nank, Stivers, 1999 ; Eme, 2001 ; Eliasoph, 2011 ; Pette, 2014 ; Hamidi, 2017 ; Savoir/Agir, 2018). Elles pourraient notamment examiner la manière dont le processus de marchandisation publique modifie les prises de position adoptées par les associations, la répartition des tâches entre les fonctions d’advocacy et de prestation de services (Mosley, 2012 ; Comeau, Turcotte, 2017), et enfin la politisation des acteur·rice·s (bénévoles, salarié·e·s, et usager·ère·s).
Certains articles pourront étudier le recours aux marchés et aux ressources privées comme levier de politisation et d’autonomisation des associations, particulièrement dans des contextes politiques autoritaires.
Enfin, certaines contributions pourraient porter spécifiquement sur les effets de ces processus sur les relations avec les usager·ère·s. Comment l’injonction à la performance et à l’efficience modifie-t-elle les publics cibles et les objectifs ? Comment transforme-t-elle la nature des actions proposées (Marwell, McInerney, 2005 ; Weerawardena et al., 2010 ; Baines et al., 2013) ? Dans quelle mesure influe-t-elle sur le processus d’inclusion des destinataires de l’action associative ?
4/ Quelles sont les limites de ces processus ?
Le dernier volet de nos interrogations porte sur les limites de la marchandisation publique du monde associatif. Certaines bornes peuvent être posées par une diversité d’acteur·rice·s qui résistent à cette dynamique au nom de valeurs militantes, d’un idéal de service public ou d’une identité professionnelle. Nous attendons que des contributions analysent les stratégies mises en œuvre et interrogent les effets de ces formes de résistance. Par ailleurs, les associations sont loin de constituer un ensemble homogène, et il pourra être intéressant dans une perspective plus macro d’examiner les réactions différenciées à ces évolutions selon les types d’association (plus ou moins militantes, pourvoyeuses de services), leur taille et mode de financement ou encore leur secteur d’intervention.
D’autres limites à la marchandisation et la privatisation tiennent à l’importance des publics non solvables parmi les usager·ère·s des associations, notamment dans les secteurs du social et du médico-social. Dans l’aide à domicile par exemple apparaît un système « à deux vitesses », où les usager·ère·s les plus solvables tendent à être captés par les entreprises lucratives quand ceux qui le sont moins sont pris en charge par les structures non-lucratives. Des contributions pourraient ainsi investiguer les points de tension et de négociation entre acteurs publics et privés dans la prise en charge de ces besoins, ainsi que l’articulation des différents types de solidarité.
Certaines associations, déclarées ou de fait, interviennent dans des domaines plus ou moins formalisés et légalisés où la rationalisation marchande semble peu effective. Cela s’observe particulièrement dans la lutte contre la pauvreté et dans l’humanitaire, en France comme à l’étranger, où l’action associative renvoie davantage à des économies morales (Fassin, 2009 ; Siméant-Germanos, 2010 ; Bracho, 2020), plutôt qu’à des marchés de la solidarité. Des articles pourraient explorer la façon dont les associations s’articulent ou non aux logiques politiques, bureaucratiques et marchandes, ainsi que les effets produits sur leur fonctionnement.
Enfin dans d’autres cas, dans le secteur de l’insertion par l’activité économique par exemple, des associations se développent rapidement avec le soutien de financements publics et privés conséquents, en se réclamant de l’efficacité économique et de la rationalisation. C’est le cas à la fois de grands groupes comme SOS, mais aussi de structures plus ciblées dans tel ou tel domaine d’activité. Pourtant, l’étude fine des pratiques effectivement mises en place ou des outils d’évaluation mobilisés pour mesurer l’impact du travail associatif sur les bénéficiaires montre que cette rhétorique néomanagériale peut n’être que de façade.
Des articles qui investiguent les limites observables à ces dynamiques affichées de rationalisation, qui peuvent tenir à des relations de type clientélistes, affinitaires, à des dynamiques d’échanges politiques, en France ou à l’étranger, pourraient aussi s’inscrire dans cet axe.
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Des informations complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être obtenues auprès des coordonnateur·rice·s aux adresses suivantes :
Les auteur·e·s souhaitant proposer à la revue un article sur cette question devront soumettre avant le 16 janvier 2023 leur proposition en format .docx
à cette adresse: rfas-drees@sante.gouv.fr
et la version définitive du texte avec un résumé et une présentation de chaque auteur·e (cf. les « conseils aux auteurs » de la RFAS [en ligne https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/Charte%20deontologique%20et%20conseils%20aux%20auteurs.pdf )
en respectant le caractère pluridisciplinaire de la revue et son exigence d’accessibilité pour un lectorat profane
avant le jeudi 11 mai 2023
[1] [En ligne] : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006069570/.
[2] La loi ESS promulguée le 31 juillet 2014 donne une définition de la subvention. Une subvention finance un projet dont l’association est à l’initiative ; elle ne répond pas à un besoin exprimé par une autorité publique ; n’est pas la contrepartie d’une prestation de service ; elle ne peut excéder le coût de mise en œuvre du projet.
[3] « L’appel d’offres, ouvert ou restreint, est la procédure par laquelle l’acheteur choisit l’offre économiquement la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des candidats. » Code des marchés publics, Article L2124-2
[4] Voir notamment les dossiers thématiques : « Splendeurs et misères du travail associatif », coordonné par Matthieu Hély et Maud Simonet pour Les Mondes du Travail, n° 5, 2008 ; « Le conflit, impensé du monde associatif », coordonné par Yves Lochard, Arnaud Trenta et Nadège Vezinat pour La vie des idées, 2009 ou encore « Des classes populaires et des associations : quelles redéfinitions des rapports au politique » coordonné par Camille Hamidi et Arnaud Trenta pour Sociétés Contemporaines, 2021.