Longtemps le livre de Georges Plaisance sur la sylvothérapie3 (1985) a été le seul ouvrage connu des forestiers francophones comme s’intéressant aux effets de la forêt sur la santé humaine. Depuis la fin des années 1990 et surtout le début des années 2000, les publications de toutes natures (articles scientifiques et techniques, méta-analyses d’articles, synthèses à l’attention des décideurs…) sur les interactions entre forêts et santé publique se sont multipliées. Des programmes de recherche ont été initiés, aux niveaux national ou international. La plupart des grandes organisations internationales se sont rapidement emparées de cette thématique, aussi bien dans le secteur de la santé que dans le secteur forestier ou celui de la protection de la nature, et ont adopté des résolutions ou publié des orientations de travail. Plusieurs essais d’approches transdisciplinaires ont vu le jour, par exemple entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et le Secrétariat exécutif de la convention sur la diversité biologique (CBD), s’appliquant notamment à la forêt. Très rapidement les centres d’intérêt, partis de la forêt stricto sensu, se sont élargis dans la direction des forêts urbaines et des espaces verts en ville.
Parallèlement, sur le web, les sites traitant de ce sujet se sont également multipliés, manifestant une appétence certaine de l’opinion publique pour « un retour aux sources et à la nature », parfois sur un mode plus idéologique que scientifique et inspiré par des « médecines alternatives » ou d’autres cultures que celles de l’Occident moderne. Même si la France, et plus généralement les pays de culture francophone, sont loin d’être les plus actifs dans ce domaine de la recherche, il est désormais facile de trouver en France des prestataires de service proposant de remettre en contact le citadin et la forêt pour améliorer sa santé physique et psychique. Il est non moins symptomatique de voir désormais des brochures de promotion touristique évoquer le bénéfice sanitaire de séjours en forêt, y compris en reprenant la terminologie japonaise si exotique du shinrin yoku, le « bain de forêt ».
Cette situation foisonnante peut légitimement intriguer, mais sans doute aussi inquiéter le professionnel de santé, le forestier ou simplement « l’honnête homme du xxie siècle », qui cherchent à se faire une idée personnelle de ce qu’il est possible d’affirmer dans un domaine aussi vaste, sur des bases étayées. Il existe une demande d’en savoir plus, d’identifier les débats en cours, la diversité des questionnements, les référents culturels implicites, et ce qu’il est raisonnablement possible de dire dans des limites méthodologiques explicites. La Revue forestière française et la revue Santé publique, qui partagent le fait d’être implantées dans la métropole nancéienne, capitale forestière, ont décidé de joindre leurs efforts pour dresser un état des lieux, profitant de regards croisés sur une grande diversité d’approches, de synthèses provisoires, de pistes de réflexion, en faisant largement appel à des spécialités variées et à des regards étrangers.
Beaucoup d’articles ont été rédigés par des forestiers enseignants ou chercheurs, ou par des experts de la santé publique. Mais, dans le contexte sociétal de ce qui semble motiver la curiosité des décideurs et de l’opinion publique, il a paru légitime de donner également la parole à des auteurs spécialistes de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociogéographie, de l’urbanisme, du bruit, etc., afin qu’ils nous aident à comprendre les questions relatives aux interactions « forêts-santé » telles que chacune des disciplines se les posent. La santé a été abordée dans ses différentes dimensions, physiologique, psychologique et sociale, individuelle et collective, au moyen d’approches épidémiologiques ou de recherche clinique. Sur beaucoup de sujets, il a été choisi de laisser plusieurs auteurs s’exprimer sur les mêmes questions, parfois de manière convergente, parfois moins, car il est manifeste que le champ des connaissances ne peut actuellement être considéré comme stabilisé et les regards sur ces questions restent pluriels. Un certain nombre d’auteurs étrangers font référence, plus ou moins explicitement, au contexte social, politique et culturel dans lequel les débats sont menés dans leur pays, nous invitant à identifier ce qui nous est commun et ce qui l’est moins.