Revue d’histoire de la protection sociale n° 16/2023
L’essor des migrations de masse à l’échelle européenne et transocéanique, d’une part, et le développement d’un arsenal de protection sociale à destination des populations vulnérables, d’autre part, sont apparus de façon globalement concomitante dans les dernières décennies du XIXe siècle. Dans un contexte marqué par l’accélération et l’expansion territoriale de l’industrialisation, par des formes nouvelles de mondialisation économique et par l’émergence et le renforcement d’États modernes fondés sur la définition du national et de l’étranger en matière de droits, les flux migratoires internationaux ont bouleversé les structures démographiques et les équilibres économiques à l’échelle mondiale. Ils se sont aussi accompagnés d’une (re-)définition des catégories juridiques et administratives de l’action sociale des États en matière de protection des individus contre les risques de l’existence. Questionner ensemble l’essor des migrations internationales et celui de l’État social permet donc d’éclairer un aspect encore relativement opaque de l’histoire économique, sociale et institutionnelle des sociétés contemporaines, en s’interrogeant sur le rôle des flux migratoires dans le développement du welfare state et, à l’inverse, sur le poids des politiques sociales mises en œuvre dans les stratégies migratoires déployées par les individus et les États, sur leurs modalités et leurs rythmes.
C’est ce que propose cette livraison de la Revue d’histoire de la protection sociale à travers cinq articles issus de recherches récentes qui portent sur la France au sein du concert transnational. La première approche, avec les articles de Karim Fertikh et de Giacomo Canepa, cerne l’organisation et les mutations de l’administration confrontée à la dimension internationale en matière de droits et de protection sociale. Le second volet est consacré à la définition des populations diversement prises en charge par l’arsenal de protection sociale en construction : Claudine Marissal se penche sur les migrants belges dans le Nord de la France au tournant des XIXe et XXe siècles et Hugo Mulonnière s’intéresse aux modalités de l’élargissement du régime de protection sociale aux populations nord-africaines colonisées et sous protectorat entre les deux guerres. Enfin Federico Del Giudice met en regard deux États d’immigration majeurs, la France et l’Argentine, pour souligner combien les traditions juridiques respectives en matière de citoyenneté et d’accueil des migrants influent sur les processus d’élargissement des droits sociaux aux étrangers dans l’entre-deux-guerres. Ces articles sont complétés par un entretien d’Anne-Sophie Bruno avec Emmanuelle Eldar, actrice de la politique sociale européenne au début du XXIe siècle, et par la présentation et l’analyse de documents historiques sur le sujet.