Séminaire « Bureaucraties sanitaires et sociales » : compte-rendu des trois séances

 

Séminaire

« Bureaucraties sanitaires et sociales »

Coordination scientifique

Marianne Berthod, Christine Le Clainche, Séverine Mayol, Jean-Luc Outin

 

Compte-rendu de la première séance du séminaire organisée le 12 janvier 2021 : « Observation du secteur sanitaire et social : y a-t-il des facteurs favorables au développement d’une organisation bureaucratique dans le secteur sanitaire et social ? »

Ce séminaire en trois séances vise à préparer un appel à contribution pour la publication d’un numéro thématique de la Revue française des affaires sociales. Cette première séance a rassemblé une soixantaine d’auditeurs grâce aux outils de visioconférence. Aurore Lambert, secrétaire générale, ouvre la séance en rappelant tout l’intérêt de la revue pour ces questionnements et présente le calendrier prévisionnel de préparation du dossier thématique :

 

  • Date de réception des articles dans leur première version au 4 novembre 2021 ;
  • Examen par le comité de lecture le 14 décembre 2021 ;
  • Examen des articles dans leur seconde version au 7 février 2022 ;
  • Livraison du numéro en juin 2022.

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Rapports du Conseil de la famille Années 2017 – 2018 – 2019

Dossier « Les ruptures de couples avec enfants mineurs » – adopté le 21 janvier 2020

Rapport « Voies de réforme des congés parentaux dans une stratégie globale d’accueil de la petite enfance » – adopté le 13 février 2019

Rapport « Lutter contre la pauvreté des familles et des enfants » – adopté le 5 juin 2018

Rapport du Conseil de la famille et du Conseil de l’enfance et de l’adolescence « L’accueil des enfants de moins de 3 ans » – adopté le 10 avril 2018

Rapport transversal « Disposer de temps et de droits pour s’occuper de ses enfants, de sa famille et de ses proches en perte d’autonomie » – adopté le 12 décembre 2017

Sur la genèse de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore)

Par Philippe Warin

Porter le regard sur une expérience professionnelle au moment où elle s’achève, tel est l’objectif de ce témoignage sur les circonstances de la création de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore). Il ne s’agit pas pour moi de livrer ici une sociohistoire du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action, simplement de présenter la genèse de cet outil pour la recherche.

 

Cette histoire n’est pas connue car elle renvoie aux circonstances « discrètes » qui ont conduit à la construction de cet observatoire universitaire, lequel a pris part à l’émergence de la question du non-recours en France et un peu au-delà[1]. Dans mon souvenir, quatre de ces circonstances ont compté : une mise en garde, un désaccord, puis un constat suivi d’un coup de chance.

 

Une mise en garde

 

Le début de l’histoire remonte à ma participation au séminaire de recherche sur « La relation de service dans le secteur public » organisé de mars 1989 à janvier 1991 par l’ancien Plan Urbain et la RATP. Les sept séances du séminaire mettaient en discussion les travaux engagés alors à la RATP, EDF, la police, la SNCF ou à la Poste pour contribuer à la réflexion sur la modernisation des services publics par une meilleure connaissance des relations ordinaires entre agents et usagers. Assister aux échanges qui réunissaient des acteurs et des chercheurs français et étrangers tombait à pic. Préparant une thèse sur la place des usagers dans l’évaluation des politiques, je pouvais me nourrir de débats scientifiques sur les apports comparés des approches interactionnistes et ethno-méthodologiques.

 

Des chercheurs confirmés, comme Dominique Monjardet, connu pour son analyse de l’intérieur du travail des policiers et des rouages de l’institution, nous éclairaient. Il apparaissait que les approches compréhensives au plus près des acteurs permettaient de questionner directement les organisations et les politiques. Ces discussions méthodologiques à intervalles réguliers m’ont aidé à faire des choix. En considérant les relations de service comme un espace de négociation des règles dans la mise en œuvre des politiques publiques, il devenait possible de justifier l’étude de ces relations comme espace d’expression d’une citoyenneté (Warin, 1993).

 

Le souvenir de ce séminaire c’est aussi la mise en garde que j’ai reçue en aparté de son animateur scientifique principal, Isaac Joseph. J’avais été invité lors de la première séance du séminaire à participer à la table ronde qui suivait les propos institutionnels et scientifiques introductifs. Le débat réunissait autour d’Isaac Joseph, des représentants de la direction de La Poste, des universitaires, mais aussi Pierre Strobel, alors chef de la Mission Recherche au ministère des Affaires sociales et de la Santé, et André Bruston, Secrétaire permanent du Plan Urbain. On m’avait demandé de présenter ma recherche doctorale en cours, fondée sur l’étude de relations de service. J’avais accepté sans trop me demander où je mettais les pieds. Le fait que le terrain soit des organismes HLM intéressait le Plan Urbain. A joué probablement aussi le fait que j’étais alors accueilli et financé comme doctorant par le laboratoire CEOPS (Conception de méthodes d’évaluation pour les organisations et les politiques publiques) récemment installé par le ministère de l’Équipement et du Logement et par celui de la Recherche au sein de l’École nationale des travaux publics de l’État.

 

La table ronde avait pour objectif d’entendre des points de vue diversement situés (avec le souci, devenu une antienne, d’écouter aussi « la jeune recherche »). Il s’agissait de réagir aux propos introductifs d’Isaac Joseph sur l’intérêt de recourir aux approches interactionnistes pour comprendre au mieux le travail des agents prestataires. La modernisation des administrations et des services publics – l’un des grands chantiers de Michel Rocard alors Premier ministre – se voulait ascendante et participative. Suite aux premières interventions, Pierre Strobel (« artisan d’une recherche éclairée sur elle-même et sur ce qui est attendu d’elle pour contribuer au progrès social » – Commaille, 2007, p. 5) indiqua que le séminaire devait concilier une approche des tensions de la relation de service et une réflexion sur les principes du secteur public et leur logique. Il appelait à nourrir les questionnements de la science administrative, sinon de la sociologie de l’État, par l’approche compréhensive des relations de service. Certainement soucieux de ne pas subordonner la sociologie naissante (en France) des relations de service à d’autres questionnements, Isaac Joseph répondit en expliquant que l’ambition de la microsociologie, au cœur de ce séminaire, était ni plus ni moins d’analyser le savoir-faire de l’interaction dont dispose un agent prestataire. C’était la feuille de route qu’il fixait en tant qu’animateur scientifique, professeur de sociologie et fin connaisseur de l’œuvre d’Erving Goffman (Céfaï, Saturno, 2007).Isaac Joseph délimitait ainsi les attentes du séminaire pour assurer l’espace nécessaire au développement d’un nouveau champ de recherche.

 

La parole me fut ensuite donnée. Mes propos n’étaient pas vraiment en osmose : « […] Il n’est pas si sûr que nous soyons autant d’accord sur l’objet ‘relation de service’ que l’on nous propose à partir d’une problématique de l’énonciation inspirée de Goffman. […] J’ai peur que ne soient évacués trop vite les conflits et notamment les conflits de représentations. À partir d’autres méthodes on pourrait analyser les relations entre agents et usagers comme autant de lieux de négociation entre systèmes d’intérêts. […]. Ce serait tout l’intérêt d’une approche de la relation de service pour une analyse des politiques publiques par le bas, ‘par les usagers’ »[2]. En relisant les actes de cette séance, il n’y a pas de doute sur ce qui avait motivé la colère froide d’Isaac Joseph. Il ne souhaitait pas que la sociologie des relations de service participe à la recomposition alors en cours de l’analyse des politiques publiques (Muller, Leca, Majone, Thoenig, Duran, 1996). Au moment de la pause, il me le fit comprendre vertement.

 

Au lieu de me laisser abattu, cet épisode au contraire renforça ma conviction que les relations de service ne sont pas qu’une question de savoirs pratiques – qui plus est des seuls agents prestataires –, mais qu’elles sont aussi un rapport social engageant des représentations. Celles-ci amènent agents et usagers à s’affronter et surtout à se confronter aux procédures administratives voire au contenu des politiques. Cet épisode constitue la première étape dans le cheminement vers la question du non-recours et la construction de l’Observatoire.

 

Un désaccord

 

Mon programme de recherche présenté en 1992 au concours du CNRS fut sans tarder mis en œuvre. Il proposait de développer une sociologie politique des interactions avec les usagers considérés davantage comme des citoyens que comme des consommateurs. Le triptyque usager/citoyen/consommateur était largement discuté à l’époque (Chauvière, Godbout, 1992). Pour éviter de stationner dans la valorisation de la thèse, un renouvellement des terrains de recherche était souhaitable. J’entrepris de courtes recherches sur l’instruction des demandes isolées de permis de construire et les conflits avec des usagers de la route ou des riverains de petits aménagements urbains. Ce choix était calculé. J’y voyais l’opportunité de répondre à des appels à projets plutôt faciles. Les recours contre les services de l’État comme les contestations de projets d’infrastructures étaient alors des sujets importants de préoccupation pour le ministère de l’Équipement et pour le Conseil général des ponts et chaussées. Encore affilié au CEOPS, je devais en effet répondre à des appels à projets pour contribuer aux activités du laboratoire et m’inscrire au mieux dans les attentes du ministère de tutelle. Il ne fallait donc pas non plus rater la nouvelle phase qui se présentait, celle du premier programme de recherche en sciences sociales du Conseil général des ponts et chaussées lancé en 1990 sur « L’administration de l’Équipement et ses usagers ». En répondant à l’un des appels à projets annuels, je pus contribuer à partir de ces terrains de recherche à la réflexion très active à l’époque sur la production de l’assentiment dans l’action publique.

 

Alors que le programme était en cours, son responsable me proposa, par l’intermédiaire du directeur de CEOPS, de participer à son pilotage. Ayant accepté d’assumer le secrétariat, entre 1993 et 1995 je me rendis régulièrement au Conseil général des ponts et chaussées pour travailler avec l’inspecteur général Claude Quin lequel, entre autres fonctions, avait présidé le conseil d’administration de la RATP de 1981 à 1986. Je le retrouvai à chaque fois avec deux de ses amis chercheurs : Monique et Raymond Fichelet l’accompagnaient en effet dans la direction du programme. Les séances de travail étaient sérieuses, à l’image du lieu. Le programme mené à bon port produisit son ouvrage (Quin, 1995).

 

L’expérience avait été enrichissante, mais pour moi quelque chose clochait. Pour Claude Quin et le couple Fichelet, la cible était les usagers qui donnaient de la voix, pas ceux qui se taisaient. L’idée que le silence ne vaut pas approbation était hors-jeu. Ce programme, comme celui du Plan Urbain auparavant, passait sous silence « le silence de ceux qui sont trop désespérés pour exprimer ne serait-ce que des sentiments d’indignation, trop impuissants pour formuler leurs propres intérêts, fût-ce à eux-mêmes. »[3]. Je m’étonnais de ce choix, sachant l’ancrage à gauche de chacun d’eux (tous les trois étaient proches du Parti communiste, Claude Quin avait même été conseiller municipal PCF de Paris de 1977 à 1981). En tant que chercheur surtout, j’étais en désaccord. Pourquoi ne pas saisir ensemble les trois concepts particulièrement utiles pour l’analyse des services publics proposés par l’économiste Albert O. Hirschman (alors traduit en France et discuté aujourd’hui encore – Ferraton, Frobert, 2017) : la parole, mais aussi le loyalisme et la défection ?[4] Considérant que ce n’est pas parce que l’on se veut plus démocrate (plus de concertation, de participation, de délibération, d’évaluation, etc.) que l’on désire réellement plus de démocratie si l’on ne tient pas compte de ceux qui se taisent ou même qui se retirent, une autre certitude me tenaillait : l’analyse sociopolitique du rapport des citoyens aux administrations et services publics devait aussi s’intéresser à ces figures des « non-usagers ». Une nouvelle recherche de terrain allait déboucher sur le besoin de construire un dispositif de recherche dédié à la question du non-recours.

 

Un constat

 

Un travail sur « Les performances de justice. Exigences d’usagers et réponses des administrations » avait été rendu en décembre 1999 à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). A partir de plusieurs matériaux d’enquêtes menées auprès de services territorialisés de l’État et de délégués départementaux du Médiateur de la République, j’avais repris la question des relations de service pour montrer que la compréhension des rapports des usagers à l’offre publique ne se limite pas, loin s’en faut, aux savoir-faire de l’interaction. J’expliquais que des représentations et des valeurs entrent en ligne de compte et pèsent sur les résultats, en particulier lorsque agents et usagers se débrouillent avec les règles pour agir ou bien pour être traités en équité.

 

La conduite de cette recherche bénéficia d’échanges réguliers avec Isabelle Orgogozo, la responsable du Comité des études et de la prospective de la DGAFP. À chaque visite, j’étais conforté dans l’idée que l’étude des rapports des usagers à l’offre publique permet une analyse critique de l’action administrative, voire des politiques publiques.

 

Dans l’ouvrage qui suivit cette recherche, la question du non-recours fut explicitement introduite (Warin, 2002). J’expliquais que les usagers qui se taisent n’échappent pas aux agents de terrain. Ceux-ci essaient d’agir autant qu’ils le peuvent pour répondre aux demandes et éviter in fine le retrait des usagers. L’ouvrage s’appuyait aussi sur diverses lectures signalant que des usagers de l’école, de l’hôpital et d’autres services publics ne demandent plus rien[5]. Plus que jamais il me semblait que l’étude de la contestation ne pouvait pas prendre le pas sur l’analyse de la défection. Toutefois, les personnes à étudier ne sont pas seulement celles qui se taisent, mais aussi celles qui ne se présentent pas ou plus. Les comportements de repli me paraissaient donc tout autant préoccupants, sinon plus, que les comportements de contestation. Ils constituaient une porte d’entrée principale pour analyser le rapport critique des citoyens à l’offre publique, comme pour comprendre les difficultés des agents prestataires. Découvrant de surcroît une publication de la Caisse nationale des allocations familiales présentant le phénomène encore largement méconnu du non-recours[6], j’allais en faire explicitement l’objet d’une nouvelle recherche.

 

Isabelle Orgogozo m’avait prévenu de la préparation d’un nouveau programme, « Réformer l’État, nouveaux enjeux, nouveaux défis ». Je me souviens lui avoir dit que, quitte à parler de défis, ce pouvait être le moment – à mon humble avis – de se préoccuper du phénomène du non-recours. J’ajoutai de façon certainement un peu excessive que tous les programmes de recherche concernant les relations avec les usagers entretenaient l’illusion de (faire) croire que les destinataires sont nécessairement présents car captifs des administrations et des services publics. Un projet de recherche fut par conséquent déposé en mai 2000 en réponse à l’appel à projets de la DGAFP.

 

Son descriptif expliquait la raison d’une recherche sur le non-recours : « Un des paris majeurs de la réforme de l’État est de réaffirmer le rôle et la place des services publics dans la lutte contre l’exclusion. […] Cela étant, les retours d’expérience indiquent les limites de ces efforts, ce que confirment par ailleurs quelques travaux de recherche. […] En même temps, un autre phénomène tout aussi préoccupant tend peu à peu à être distingué, c’est celui du non-recours. […] Ce phénomène concerne des personnes qui ne s’adressent pas ou plus aux services publics pour satisfaire leurs demandes et qui, de ce fait, ne perçoivent pas tout ou partie des prestations, des services ou des droits auxquels elles peuvent prétendre. En un mot, il s’agit là du problème des “ non-usagers ” ».

 

Le projet accepté, une recherche collective aborda quatre domaines : Police-Justice, Éducation, Santé, Lutte contre la pauvreté. Les enquêtes permirent de produire le rapport « Le non-recours aux services de l’État. Mesure et analyse d’un phénomène méconnu ». Avant de le finaliser, Isabelle Orgogozo m’invita à venir présenter les premiers résultats au Directeur général de l’administration et de la fonction publique, Gilbert Santel. C’était au printemps 2001, peu de temps avant qu’il ne quitte ses fonctions.

 

Je ne me souviens plus de toute la discussion, mais très bien d’une chose. J’ai pris soin de dire à Gilbert Santel que tous les acteurs que nous avions rencontrés dans les différentes administrations nous avaient parlé du non-recours comme d’un problème pour eux, mais qu’aucun n’avait été en mesure de nous apporter le moindre élément de mesure. Et d’ajouter que pour relever les défis de l’administration de demain, il serait peut-être prioritaire de mesurer et documenter le phénomène du non-recours dont la présente recherche pressentait l’ampleur des dégâts. Je venais d’exprimer lors de cette entrevue le constat qui donnera lieu au projet d’observatoire du non-recours.

 

Un coup de chance

 

Le fait que la question du non-recours préoccupe les acteurs des politiques mais qu’ils la méconnaissent fut suffisant pour décider d’en faire l’objet d’étude principal de la suite de mon programme de recherche pour le CNRS. Dans cet objectif, un changement de braquet s’imposait. Il fallait construire un dispositif ad hoc pour documenter le phénomène dans la durée. Réaliser des enquêtes auprès d’acteurs n’était plus suffisant, élaborer et mener des enquêtes avec des acteurs s’imposait. Si ceux-ci étaient partants, ils ne pourraient qu’être intéressés par une recherche les associant. Le principe de l’accord n’aurait rien de particulier, je demanderais simplement aux acteurs de m’aider à construire des données dont ils auraient l’usufruit, selon les modalités d’une recherche collaborative qui garantit à chaque partenaire le meilleur retour sur investissement. L’idée générale d’un observatoire du non-recours venait d’apparaître, les conditions pour qu’elle germe apparurent rapidement. Ce fut un coup de chance.

 

La recherche sur le non-recours tout juste rendue à la DGAFP, je saisis l’occasion d’un appel à projets lancé par un tout jeune acteur, France Qualité Publique (FQP). Créé avec le statut d’association en septembre 2001, FQP se présentait comme un réseau partenarial de promotion de bonnes pratiques, d’évaluation des services rendus, de débats et de propositions sur la qualité des services publics rassemblant des associations d’usagers, d’élus, d’agents et des organismes publics. Par cet appel à projets, FQP entendait se faire connaître en incitant à la création sur les territoires d’observatoires de la qualité des services publics. Aussi, ai-je préparé une réponse à partir de l’idée qu’il ne peut y avoir de qualité publique sans action contre le non-recours aux administrations et services publics[7]. Le projet de création d’un « Observatoire départemental du non-recours aux services publics dans le département de l’Isère »[8] sera lauréat 2002 de France Qualité Publique.

 

Une séance officielle dans les locaux de l’ancienne DATAR se déroula le 26 juin 2002 en présence de Jean-Paul Delevoye qui venait d’entrer au gouvernement le mois précédent comme ministre de la Fonction publique, et d’Henri Plagnol, secrétaire d’État à la Réforme de l’État. Le président de FQP, Jean Kaspar, m’invita à présenter en quelques mots le projet d’observatoire du non-recours. De chaleureuses poignées de mains et un beau certificat complétèrent mon bonheur du jour. L’animateur de FQP m’avait prévenu : il n’y a pas de financements, mais il y a des réseaux.

 

Recevoir un label ne faisait cependant pas « nos affaires ». Il fallait aussi des ressources financières. Catherine Chauveaud était directement concernée. En reconversion professionnelle, elle correspondait au type d’associé que je recherchais pour fonder ce projet, qui nécessitait des liens étroits avec des acteurs locaux. Sociologue de formation, elle apportait vingt ans de travail de terrain en proximité avec des élus, des services et des populations, la richesse de son expérience professionnelle dans une importante association d’aide aux travailleurs migrants et à leurs familles. Le CNRS me rémunérait, mais il fallait des financements pour mon associée.

 

Les moyens arriveront d’abord de la Ville de Grenoble, comme l’annonçait l’annexe du projet présenté à FQP. Grâce à des contacts avec l’adjointe chargée de la Santé publique, de l’Hygiène, de la Salubrité et de la Prévention des nuisances, la Ville s’engageait comme partenaire dans le projet d’observatoire. L’élue nous demandait en échange d’étudier les données sociales et médicales du service de médecine scolaire. Une proposition viendra également de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour travailler sur la constitution d’indicateurs de suivi des abandons de demandes. M’étant occupé du volet « Lutte contre les exclusions » de la recherche sur le non-recours pour la DGAFP, j’avais eu des entretiens avec les directions et services des CAF de Grenoble et de Vienne. Particulièrement intéressé, le sous-directeur aux études m’avait encouragé à rencontrer Julien Damon, qui dirigeait alors le Département de la recherche, de la prospective et de l’évaluation de la CNAF. Dès notre première rencontre début 2002, Julien Damon manifesta son intérêt pour la question du non-recours (lui-même la rencontrait à l’époque dans ses travaux sur le sans-abrisme) et l’idée d’un observatoire. Parallèlement, les contacts établis avec les services de l’État en Isère à l’occasion de la recherche pour la DGAFP sur « Les performances de justice », et en particulier les relations avec le Préfet Alain de Rondepierre (en poste dans le département jusqu’en mai 2003), nous ont permis d’obtenir le soutien financer du « Fonds de réforme de l’État territorial ».

 

Les premières études furent lancées toutes de front. Le projet présenté à France Qualité Publique était programmé pour une durée de 30 mois, il ne fallait pas traîner en route. Dans son courrier du 3 juin 2002 annonçant l’attribution du Label FQP, Jean Kaspar avait conditionné son maintien « bien sûr à l’avancement du projet et en particulier au bon fonctionnement de l’indispensable comité de pilotage, afin que l’Odenore trouve l’assise et les financements nécessaires »[9]. Le 17 mars 2003, une réunion des partenaires se tint à Grenoble pour mettre en place le comité de pilotage. Elle fut introduite et conduite par le directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Alpes du CNRS qui avait accepté d’accueillir l’Odenore au titre des « projets émergents ». L’Observatoire était mis sur les rails. Les quelques mois du projet se prolongent aujourd’hui encore.

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À partir de souvenirs personnels, ce court récit présente les circonstances qui ont conduit à créer l’Observatoire des non-recours aux droits et services. En si peu de lignes, il ne pouvait être question de tenter une histoire scientifique de l’émergence et du développement du non-recours comme catégorie d’analyse et d’action.

 

En revanche, ce témoignage permet de lever le voile sur les circonstances qui ont conduit à créer cet observatoire universitaire. Il apporte ainsi une modeste contribution à une sociohistoire de l’émergence de la catégorie de non-recours que d’aucuns voudraient poursuivre[10]. Outre ce possible intérêt, il veut montrer – d’une façon qui paraîtra peut-être anecdotique (Renard, 2011) – que le métier de sociologue consiste aussi à produire les outils nécessaires à la construction de l’objet d’étude. Au-delà des modalités d’intervention (recherche-action, étude, évaluation, conseil, etc.), les outils sont les dispositifs de travail qui, en devenant pérennes, servent de tuteurs à la recherche qu’ils rendent possible. Pour cette raison, ils sont au cœur de l’expérience professionnelle.

 

En se limitant aux circonstances qui ont conduit à la création d’un dispositif de recherche, ce récit indique que la construction de l’outil dépend d’attitudes et de stratégies, sinon de simples tactiques, qui peuvent agir tôt dans une carrière de chercheur, même en amont d’un éventuel recrutement. Cependant, les circonstances que l’on saisit et force parfois sont actives parce qu’on les oriente dans le sens qui paraît nécessaire pour produire la recherche que l’on souhaite. Avec le recul, je dirai donc que le métier c’est aussi et probablement avant tout savoir trouver ce sens et le conserver dans la durée. Dans ce cas, la curiosité et la réaction (on pourrait parler d’indignation) propres à chacun sont certainement essentielles.

 

Ce sont peut-être les marques de « l’artisan chercheur », que certains disent sur le déclin (Monin, 2017). L’évolution rapide des techniques d’investigation et du traitement des données, la spécialisation très pointue et la co-écriture internationale, etc., pourraient en effet amoindrir sinon dissoudre « l’intériorité » propre au travail de recherche, qui peut être saisie par la manière dont la curiosité et la réaction, comme d’autres expériences internes privées (Bouveresse, 1976), entrent dans les jeux de langage publics qui sont aussi ceux de la recherche. En tout cas, la curiosité comme la réaction sont les ressorts de la recherche comme engagement (Neveu, 2003). Elles doivent cependant être contenues pour que le monde de la connaissance et celui de l’action (politique) ne se confondent pas.

 

Une sociohistoire du non-recours pourra ainsi montrer comment l’Odenore a contribué à construire distinctement une catégorie d’analyse et une catégorie d’action. Elle aura alors à vérifier comment la césure a été assumée (et les expériences privées contrôlées) pour des raisons déontologiques (éviter le prophétisme : ne pas parler du non-recours comme problème inquiétant, mais comme phénomène constaté – Warin, 2020) ou épistémiques (éviter la simplification des énoncés : assumer devant la demande d’explications simples et efficaces, les dimensions complexes et critiques du phénomène – Warin, 2014).

 

Références bibliographiques

 

Jacques Bouveresse, Le mythe de l’intériorité. Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Editions de Minuit, 1987 [1976].

Daniel Céfaï et Carole Saturno, Itinéraires d’un pragmatiste. Autour d’Isaac Joseph, Paris, Economica, 2007.

Michel Chauvière et Jacques Godbout, Les usagers entre marché et citoyenneté, Paris, L’Harmattan, 1992.

Jacques Commaille, « Pierre Strobel », Revue française des affaires sociales, 2007, 1, 3-5.

Nina Eliasoph, L’évitement du politique : Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne, Economica, 2010.

Cyrille Ferraton et Ludovic Frobert, Introduction à Albert O. Hirschman, Paris, La Découverte, 2017.

Philippe Monin, « La Grande Transformation du Métier de Chercheur », Revue Internationale PME, 2017, 30(3-4), 7-15.

Pierre Muller, Jean Leca, Giandomenico Majone, Jean-Claude Thoenig et Patrice Duran, « Enjeux, controverses et tendances de l’analyse des politiques publiques », Revue française de science politique, 1996, 46(1), 96-133.

Erik Neveu, « Recherche et engagement : actualité d’une discussion », Questions de communication, 2003, 3, 109-120.

Claude Quin, L’administration de l’Equipement et ses usagers, Paris, La Documentation française, 1995.

Jean-Bruno Renard, « De l’intérêt des anecdotes », Sociétés, 2011, 114, 33-40.

Philippe Warin, « Les relations de service comme régulations », Revue française de sociologie, 1993, 34(1), 69-95.

Philippe Warin, Les dépanneurs de justice. Les « petits fonctionnaires » entre qualité et équité, Paris, LGDJ, 2002.

Philippe Warin, « Une recherche scientifique dans le problems solving : un retour d’expérience », Politiques et Management Public, 2014, 31(1), 113-122.

Philippe Warin, Le non-recours aux politiques sociales, Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2016.

Philippe Warin, Petite introduction à la question du non-recours, Montrouge, ESF Editeur, 2020.

 

 

[1] C’est ce qu’indique par exemple, le rapport de conjoncture 2014 de la section « Politique, pouvoir, organisation » du comité national du CNRS, mais aussi des rapports et documents officiels (par exemple: Lucie Gonzalez et Emmanuelle Nauze-Fichet, 2020, « Le non-recours aux prestations sociales – Mise en perspective et données disponibles », Les Dossiers de la DREES, n°57, DREES, juin. 

[2]  Actes du séminaire (1989-1991) « La relation de service dans le secteur public », tome 1, pp. 19-21.

[3] La formule est de Nina Eliasoph (2010, p. 277), dont je découvrirai plus tard l’ouvrage issu d’une thèse parue aux États-Unis en 1998.

[4] Le modèle d’analyse d’Albert Hirschman sera mis à contribution dans l’explication de la dimension politique du non-recours par non-demande intentionnelle (Warin, 2016).

[5] L’ouvrage cite notamment : Adolphe Steg, L’urgence à l’hôpital, Rapport du Conseil économique et social, Journal officiel de la République française, 1989 ; Jean-Louis Derouet (dir.), L’école dans plusieurs mondes, Bruxelles, De Boeck, 1989 ; Yves Dutercq, Politiques éducatives et évaluation. Querelles de territoires, Paris, Presses Universitaires de France, 2000 ; …

[6] Recherches et Prévisions, « Accès aux droits. Non-recours aux prestations. Complexité », 1996, n° 43.

[7] Archives Odenore : Carton 1 – France Qualité Publique 2002.

[8] L’acronyme Odenore fut décidé à ce moment-là. L’intitulé actuel, « Observatoire des non-recours aux droits et services », sera utilisé pour la première fois dans le rapport d’activité remis le 1er novembre 2005 à France Qualité Publique. Archives Odenore : Carton 9 – Dossier FQP.

[9] Archives Odenore : Carton 9 – Dossier FQP.

[10] Clément Le Reste, « Du non-accès au non-recours : sociohistoire française d’une catégorie d’action publique (1970-2016) », thèse en préparation, Sciences-Po Lyon.

Exclusion sociale des personnes âgées : dynamiques du parcours de vie et désavantages multidimensionnels (vol. I)

Ce premier volume du numéro de Retraite et société (n°81/2020) consacré à l’exclusion sociale des personnes âgées a été pensé avec les membres du réseau de Coopération européenne en science et technologie (COST), alors que se mettait en place l’actuel programme intitulé Réduire l’exclusion sociale des personnes âgées (ROSEnet). Parmi ce vaste réseau de chercheurs et d’acteurs politiques, certains nous ont fait l’honneur de leur participation. À ce titre, ce numéro se veut résolument européen, avec des contributions d’auteurs et autrices français mais également anglais, italiens, grecs, suédois, suisse, allemand, belges, etc. Ce volume est également pluridisciplinaire. Il convoque aussi bien la sociologie et l’économie que la géographie et l’anthropologie, chacune de ces disciplines offrant une perspective différente au problème de l’exclusion. La plupart des textes évoquent avec force témoignages les parcours de vie de ces personnes en situation d’exclusion à l’âge de la vieillesse, qui s’articulent souvent avec des désavantages cumulés tout au long de l’existence. D’autres s’intéressent plus spécifiquement à la santé ou au chômage en fin de carrière, avec pour facteur commun la faiblesse des revenus qui conditionne souvent un niveau socio-économique peu favorable à l’inclusion. Le second volume, à paraître prochainement, sera tout aussi ouvert aux collaborations européennes. Il s’arrêtera sur le sentiment de solitude comme facteur d’exclusion des personnes âgées et sur les moyens de l’évaluer, sur la dénutrition, mais également sur les leviers à envisager au niveau européen afin de remédier à la pauvreté et à l’exclusion de nos aînés.

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Les bénéficiaires d’aides au logement : profils et conditions de vie

En 2017, le montant total versé au titre des aides au logement est de 18,0 milliards d’euros, soit 225 euros en moyenne par mois et par foyer allocataire. Fin 2017, 6,6 millions de foyers bénéficient d’une aide au logement. Ces aides sont principalement destinées aux ménages locataires de leur résidence principale.

Cet article se propose de réaliser un bilan descriptif des conditions de vie des bénéficiaires des aides au loge-ment. L’étude s’appuie notamment sur trois enquêtes de l’Insee : l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), l’enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) et l’enquête Logement (ENL). Dans les enquêtes classiques, les ressources des jeunes sont difficilement appréhendables du fait notamment des différentes aides financières qu’ils reçoivent de leurs parents. L’article se propose également d’étudier succinctement les caractéristiques des bénéficiaires d’aides au logement âgés de 18 à 24 ans. Pour se faire, l’enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ), menée fin 2014 par la DREES et l’Insee, est mobilisée.

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Aide sociale aux personnes âgées ou handicapées : les départements ont attribué 2 millions de prestations fin 2018

D’après l’enquête Aide sociale menée chaque année par la DREES, les départements ont délivré, fin 2018, 2,01 millions de prestations d’aide sociale à des personnes âgées ou handicapées, en France métropolitaine et dans les DROM, soit une augmentation de 1,4 % en un an.

Les personnes âgées ont bénéficié, fin 2018, de 1,47 million d’aides sociales départementales, un chiffre en hausse de 1 % par rapport à 2017. Ces prestations comprennent 54 % d’aides à domicile et 46 % d’aides à l’accueil. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) représente 90 % de l’ensemble des aides aux personnes âgées : 777 600 bénéficiaires à domicile et 548 000 en établissement. Fin 2018, 124 100 personnes âgées perçoivent l’aide sociale à l’hébergement (ASH), soit 8 % des aides aux personnes âgées.

Le nombre d’aides sociales départementales allouées aux personnes handicapées s’établit à 545 800, dont 70 % d’aides à domicile et 30 % d’aides à l’accueil. Ce nombre augmente de 2,7 % entre 2017 et 2018, principalement en raison de la hausse de la prestation de compensation du handicap (PCH), accordée à 314 800 personnes au 31 décembre 2018 et représentant 58 % des aides aux personnes handicapées.

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Référence : Sarah Abdouni (DREES), 2019, « Aide sociale aux personnes âgées ou handicapées : les départements ont attribué 2 millions de prestations fin 2018 », Études et Résultats, n°1129, Drees, octobre.

Les dossiers d’étude de la CNAF

Les deux derniers numéros des Dossiers d’études, la collection des documents de travail de la Direction des statistiques, des études et de la recherche de la Caisse nationale d’Allocations familiales, sont en ligne sur caf.fr.

Le dossier d’étude n° 203, intitulé « Taux de couverture territorialisé de l’accueil du jeune enfant », présente les sources de données et les modalités de constitution de l’indicateur de l’observatoire national de la petite enfance « Taux de couverture par les modes de gardes formels ». Il sera présenté en séminaire interne Recherche dans le courant du premier semestre.

Le dossier d’étude n° 204, intitulé « Le social à l’épreuve de la sanitarisation – Monographie d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale », présente le 1er Prix du mémoire de Master 2 Recherche primé par le Jury des Jeunes chercheurs de la Cnaf.

En 2017, le nombre d’allocataires de minima sociaux se stabilise, après avoir baissé en 2016, par Mathieu CALVO et Céline LEROY (DREES)

Fin 2017, 4,22 millions de personnes sont allocataires d’un minimum social. En tenant compte des conjoints et des enfants à charge, environ 7 millions de personnes, soit 11 % de la population, sont couvertes par les minima sociaux.

Le nombre d’allocataires se stabilise en 2017 (+0,1 %), après une diminution de 1,3 % en 2016. Cette baisse, une première depuis 2008, poursuivait l’infléchissement observé en 2014 (+2,7 %) et 2015 (+1,9 %) par rapport à 2012 et 2013 (+4,5 % par an en moyenne).

Après une forte baisse en 2016 (-4,3 %), les effectifs d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) diminuent très légèrement en 2017 (-0,5 % ; 1, 9 million de personnes). Ceux de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) reculent, eux, encore plus fortement qu’en 2016 (-6, 0 % contre -3,9 % ; 427 100 allocataires).

Le nombre d’allocataires du minimum vieillesse (552 600 fin 2017) stagne depuis 2013. En revanche, les effectifs de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) augmentent à un rythme toujours plus soutenu depuis 2014 (+3, 0 % en 2017 ; 1,2 million). Les effectifs de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), en place depuis 2015, continuent de progresser (+14,0 %) sous l’effet de la hausse du nombre de demandeurs d’asile, mais restent relativement faibles (86 800).

En 2017, les dépenses liées au versement des minima sociaux se stabilisent (+0,2 %) et s’élèvent à 26,5 milliards d’euros, soit 1,2 % du produit intérieur brut (PIB).

Référence : Mathieu CALVO, Céline LEROY (DREES), « En 2017, le nombre d’allocataires de minima sociaux se stabilise, après avoir baissé en 2016 », Études et Résultats, n°1108, Drees, mars 2019.

https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1108.pdf

Mal-logement, mal-logés

Comment sont logées les personnes pauvres au regard de l’évolution générale de la situation du logement depuis une vingtaine d’années et particulièrement depuis la crise de 2008 ? Quelle perception ces personnes ont-elles de leurs conditions d’habitat, spécialement celles qui se trouvent de fait exclues du logement de droit commun et vivent au quotidien dans ce que l’Onpes qualifie de « situations marginales de logement » ?

Mal-logement, mal-logés, le rapport 2017-2018 de l’Onpes se propose d’éclairer la compréhension de cette crise persistante et paradoxale en complétant la mesure quantitative des difficultés de logement par un regard sur la situation des personnes logées ou exclues du logement dit « de droit commun ». La subjectivité des personnes dont l’action publique ou associative en matière de logement entend améliorer la situation est donc prise en compte dans cet ouvrage, dans la continuité de la démarche entreprise pour le rapport de 2016 consacré à l’invisibilité sociale.

Les explorations menées dans le cadre de la réalisation de ce rapport révèlent notamment deux degrés d’intensité dans les situations de mal-logement : 

  • Une charge excessive en logement pour les ménages, qui entraîne des privations sur les autres besoins à satisfaire, compromet la participation à la vie sociale, et qui touche une part croissante des ménages à faibles revenus 
  • La difficulté rencontrée par les personnes de passer d’une situation marginale de logement (ex : la privation de domicile personnel) à une situation de logement de droit commun

L’un et l’autre posent plus généralement la question de l’insuffisance d’une offre de logements abordables dans certains territoires, spécialement les plus urbains.

DRIANT, Jean-Claude. LELIÈVRE, Michèle (dir.) Mal-logement, mal-logés. Paris : Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, 2018, 324 p. Voir la version numérique

Qui sont les personnes pauvres ? Et selon quels critères ?

Ce numéro des Cahiers de l’Onpes consacre deux études sur la mesure subjective de la pauvreté, contribuant d’une certaine manière à avancer dans la définition d’un halo de pauvreté qui reste à circonscrire.

La première étude, réalisée par Jean-Luc Outin, s’attache à comprendre les raisons pour lesquelles persiste un décalage entre la mesure objective de la pauvreté, telle qu’elle résulte des indicateurs du tableau de bord de l’Onpes, et celle appréhendée à l’aune de critères plus subjectifs, tels la perception et les représentations de la population sur ce phénomène ou encore l’opinion des acteurs de terrain qui observent une réalité très concrète des situations les plus précaires. L’auteur décrypte au travers de signaux contradictoires, et notamment sous l’apparente stabilité du taux de pauvreté monétaire, les tendances à l’oeuvre dans toute leur complexité.

À la demande de l’Onpes, la seconde étude, plus exploratoire, s’intéresse aux déterminants du sentiment du pauvreté et à ce que recouvre cette notion pour ceux qui nourrissent une telle impression. L’auteur, Adrien Papuchon, dévoile à partir du Baromètre de la DREES qu’une part significative de la population française se déclare « pauvre » même si son niveau de vie excède le seuil de pauvreté officiel. Ce résultat rejoint les constats déjà mis en lumière par la pauvreté en conditions de vie ainsi que les travaux menés par l’Onpes sur les budgets de référence et l’invisibilité sociale.

LELIÈVRE, Michèle (dir.) Qui sont les personnes pauvres ? Et selon quels critères ? Paris : Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale, 2018, 131 p. Voir la version numérique