Appel à contribution pluridisciplinaire sur :
« Regards croisés sur l’évolution de la protection sociale en France depuis la fin du XIXe siècle »
pour le quatrième numéro de 2024 de la RFAS.
Le dossier sera coordonné par Paul V. Dutton (Northern Arizona University, USA), Yannick Marec (Université de Rouen Normandie), Bruno Valat (Institut national universitaire Champollion, Université de Toulouse), et Vincent Viet (Cermes3).
Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en histoire, sociologie, science politique, démographie, économie et droit ainsi qu’aux acteurs du champ de la protection sociale.
Les articles sont attendus avant le mardi 9 avril 2024.
Cet appel à contribution entend tirer parti de l’abondance des travaux pluridisciplinaires consacrés à la protection sociale depuis les années 1970 pour revenir, dans un souci de synthèse historique et dans la perspective prochaine du quatre-vingtième anniversaire de la Sécurité sociale, sur la construction de l’État social en France. Il souhaite, à rebours des analyses postulant l’extension de ce dernier à partir des marges les plus déshéritées de la société française[1] ou des approches traditionnellement limitées[2], questionner l’évolution d’une protection sociale appréhendée à la fois dans son acception la plus large et ses multiples interactions sectorielles[3]. Par « protection sociale », nous entendons l’ensemble des mesures, dispositifs et prestations qui se proposent de réduire, à l’échelle d’une collectivité humaine, les incertitudes de l’existence, en prémunissant ses bénéficiaires contre des risques socialement identifiés et individuellement perçus (invalidité, accident, chômage, maladie, vieillesse et, de manière encore partielle, dépendance ou perte d’autonomie).
L’approche proposée se veut ici culturelle et structurale. On voudrait comprendre comment s’est opérée l’acculturation des Français aux diverses formes de protection dont ils sont aujourd’hui l’objet ou parties prenantes et quels effets celles-ci ont pu avoir sur leur mentalité et leur rapport aux risques. Exercice redoutable si l’on considère que la protection sociale française, dont les prémices genrés[4] et familialistes datent de la fin du XIXe-début du XXe siècle, est à géométrie variable. Il est bien évident que « protéger » les siens ou « se protéger » (prévoyance libre : assurance privée, épargne, mutualité) n’est pas de même nature, ne revêt pas le même sens, n’implique pas les mêmes institutions qu’« être protégé » (assistance, prévoyance obligatoire via les assurances sociales). Même si ces trois configurations ou attitudes prudentielles peuvent très bien se rencontrer dans un foyer ou chez un même individu. Pour autant, bien des signes laissent à penser que cette combinatoire de protections (réflexives, transitives et indirectes) est issue d’une même « constellation polycentrique[5] » qui structure, depuis la fin du XIXe siècle mais selon des rythmes différents, la protection sociale autour de trois grands pôles : l’assistance (assistance publique et bienfaisance privée)[6], la prévoyance libre (épargne, mutualité, assurance privée et même publique) et la prévoyance obligatoire (assurances sociales, assurances publiques ou privées[7]). Encore ces grandes catégories, clairement établies par Pierre Laroque au milieu des années 1930[8] et toujours utilisées pour déchiffrer la protection sociale française, n’ont-elles jamais été vraiment étanches, loin s’en faut. Elles se sont opposées[9], croisées et mutuellement nourries, se référant certes à des conceptions philosophiques ou à des univers politiques radicalement différents, voire antagoniques, mais s’en jouant aussi par de nombreux compromis et entorses aux principes censés les distinguer[10]. Peu sensible aux clivages partisans, l’étonnante plasticité ou fongibilité du champ de la protection sociale viendrait à la fois de sa prétention très précoce (dès avant 1914) à conjoindre les protections[11] sans en avantager une plus particulièrement[12] – dans un pays n’ayant pas connu, comme l’Allemagne ou l’Angleterre, de take-off économique et donc de processus précoce de salarisation –, et de sa propension ultérieure à hybrider les formes de protection[13]. De fait, la plupart des formes aujourd’hui recensées étaient déjà connues et expérimentées avant 1914, qu’il s’agisse de l’assistance (publique ou privée), de la coopération, des assurances publiques ou privées, de la mutualité, de l’épargne individuelle ou collective ou, encore, de la protection sociale d’entreprise. Il en allait de même des techniques de protection ou du choix des modalités de réparation, déjà considérées comme non unifiables : calcul actuariel assis sur des tables de mortalité et de morbidité, calcul des rentes sur la base de barèmes, régimes par capitalisation ou par répartition… Enfin, tous les registres de protection, qui renvoient aux façons de se protéger ou de protéger, étaient déjà en place : la protection sociale pouvait ainsi être publique ou privée, individuelle ou collective, facultative ou obligatoire, légale ou conventionnelle, locale ou nationale, professionnelle ou interprofessionnelle, territoriale ou sectorielle ; garantie ou non par l’État. Le « ou » originellement exclusif pouvant, au gré des besoins et des circonstances, à la faveur de mesures transversales ou d’arrangements institutionnels et juridiques, se transformer en « ou » inclusif[14]. Reste qu’en dehors de la prévoyance libre, fondée principalement sur la rente, l’épargne ou le capital foncier, aucune forme ni aucun registre de protection ne l’emportait vraiment sur les autres.
Prétendre que l’attachement des Français à leur protection sociale est dû au caractère traditionnellement composite de celle-ci serait néanmoins fort réducteur. Car il se porte d’abord et surtout sur la forme de protection la plus contraignante de toutes, la prévoyance obligatoire qui implique des cotisations et des charges patronales contributives aux dépens du salaire. Leur conversion à celle-ci, qui n’allait guère de soi au seuil des années 1930, apparaît surtout corrélée à leur expérience collective (et non pas individuelle, comme y invite la prévoyance libre) et cumulée (l’exemple des retraites par répartition en est une bonne illustration) d’un système de sécurité sociale qui assume sans regimber les « mauvais risques » (affections de longue durée depuis 1945), répare et soigne bien plus qu’il ne prévient. La place prépondérante de la Sécurité sociale, qui oblitère dans l’opinion publique les formes facultatives de protection, et sa capacité à nourrir des solidarités horizontales ou intergénérationnelles, y sont bien sûr pour beaucoup. Autant d’ailleurs que son caractère « universel » qui s’est édifié, autour des assurances sociales, par extension du nombre des bénéficiaires, des « économiquement faibles » à forte composante ouvrière (1930) à la population générale (1946). C’est en effet le prolongement institutionnel et comptable de ces assurances, formant déjà système dans le cadre élargi de la Sécurité sociale[15] qui englobe désormais la réparation des risques professionnels (1898) et les allocations familiales (1932), qui a donné à l’État-providence français ses principales caractéristiques. À savoir une implication forte d’opérateurs relativement autonomes (les caisses) et d’administrations ad hoc, complétée ou concurrencée par des acteurs privés ou d’utilité publique (par exemple la Mutualité) ; une certaine homogénéité de la protection sociale obligatoire, incarnée par un régime général (non exclusif d’éventuels régimes spéciaux) dont l’essentiel du financement provient de l’activité salariée ; une redistribution assurée par la solidarité nationale dans un système doué d’une forte unité ; une capacité à aimanter, relayer, amplifier et diffuser des politiques sociales portées par des acteurs privés et publics (comme les collectivités locales)[16] ; et un système (fluctuant) de relations sociales à même d’assumer la gouvernance des protections (avec ou sans les syndicats). Ajoutons à cela l’effet d’imposition produit par l’émergence et l’affirmation d’un système qui oblige les opérateurs de la prévoyance libre à composer avec ses libéralités. Soit pour combler les inévitables interstices ; soit pour créer de nouveaux besoins justifiant leur action très souvent complémentaire ; soit encore pour soulager, bien souvent avec la bienveillance des pouvoirs publics, des dépenses sociales dont l’envolée date historiquement des années 1930.
La question embrassant l’ensemble de la période retenue, de la fin du XIXe siècle à nos jours, est donc bien de savoir comment, à partir d’un état de protections donné, riche de potentialités avant 1914 mais inégalitaire, parcellaire, éclaté et dénué de préférence pour une forme particulière de protection (hormis la prévoyance libre), on est passé à un État protecteur cohésif, qui privilégie dans les faits la prévoyance obligatoire. Sans disqualifier pour autant l’assistance publique ni surtout la prévoyance libre qui étaient toutes les deux, mais pour des raisons de nature très différente, au fondement même du premier modèle social républicain de la Troisième République. C’est précisément cette « sélection historique » non exclusive d’une forme particulière de protection et jalonnée de « modèles sociaux de protection[17] » très différents de l’un à l’autre (ce qui relativise la notion de « modèle » français), que cet appel à contribution souhaite questionner, problématiser et renseigner. Avec cette hypothèse générale que l’acculturation des Français à ce qu’ils considèrent comme leur protection sociale[18] (ou « propriété sociale[19] ») s’est effectuée, en dépit de très fortes oppositions, par le haut (des premières lois ouvrières à la Sécurité sociale), par le bas (grâce à la réparation de certains risques sociaux[20] ou par comparaison de sa situation sociale avec celle des autres), et à travers l’offre publique et privée d’une abondante prévoyance libre (souvent discriminante en fonction des revenus).
À cet effet, plusieurs axes complémentaires sont proposés aux chercheurs dans une optique interdisciplinaire, même si la perspective historienne y tient logiquement une place centrale.
Axe 1 : Le premier axe convie à une approche socioculturelle de l’histoire de la protection sociale. Son ambition est triple.
D’abord, identifier et caractériser des cultures de protection référées à des imaginaires et des discours politiques ou économiques donnant souvent prise à des controverses (effets désincitatifs des prestations sociales, etc.); les examiner dans la durée en les confrontant à la réalité des protections pour apprécier leurs usages, et leurs éventuelles transformations.
Ensuite, examiner les différents « modèles sociaux de protections » qui ont pu se succéder depuis la Belle Époque jusqu’à nos jours en tenant compte du poids relatif des protections mobilisées, de leur distribution dans la société et de leur agencement réciproque (économie interne). Ce qui implique d’être attentif aux segmentations sociodémographiques et socioprofessionnelles de la société française qui ont considérablement évolué dans la durée. Quels modèles heuristiques peut-on ainsi mettre en évidence durant la période considérée ; quel fut leur degré d’adéquation à la structure sociale ; quelle était leur capacité redistributive et les inégalités dont ils étaient porteurs, notamment à travers le mécanisme dégressif du plafond des cotisations (créé en 1930) ? Quels furent les effets du plafond d’immatriculation (assurances sociales des années 1930) sur le développement d’une protection conventionnelle de branche ou d’entreprise dans les catégories socioprofessionnelles qui n’étaient pas assujetties (ingénieurs, agents de maîtrise, techniciens, contremaîtres…) ? Quelle influence le développement d’une protection essentiellement fondée sur le salariat eut-il sur les protections des indépendants, traditionnellement attachés à une sécurité fondée sur la propriété de leur outil de travail ? Comment les risques sociaux ont-ils été partagés entre les différents opérateurs ; quels furent les covalences, hybridations, arrangements[21] ou, au contraire, cloisonnements ou juxtapositions qui se dessinèrent entre les principales formes de protection ; quelles extensions par assimilation ou analogie[22], sur le modèle ancien de la protection légale des travailleurs (des enfants aux hommes adultes en passant par les filles mineures et les femmes adultes), la protection sociale a-t-elle connues ?
Enfin, apprécier, dater et renseigner les facteurs d’adhésion des Français à une protection sociale différenciée, qui ne répare pas tous les risques sociaux de la même manière (la rente pour invalidité, la pension n’étant pas de même nature que les prestations maladie ou chômage) et qui peut être diversement perçue (prestations considérées comme « indues » ou, à l’inverse, stigmatisantes pour leurs bénéficiaires).
Axe 2 : Le deuxième axe s’intéresse, dans une optique plus dynamique et moins endogène, aux conséquences sociales et sanitaires des guerres et des crises économiques qui, malgré leur caractère largement exogène, semblent avoir eu, en France, un impact décisif sur l’extension de la prévoyance obligatoire, ne serait-ce qu’en bouleversant la structure sociale et socioprofessionnelle de la population. En bref, qui ont permis (mais de quelle façon, au prix de quels reclassements sociaux et renoncements sociétaux ?) de passer d’un modèle social de protection à un autre, sans renoncer au polymorphisme intrinsèque de la protection sociale. En guise d’illustration, évoquons la Première Guerre mondiale qui aurait signé le crépuscule du « modèle social républicain », fondé sur une forte autonomie locale des politiques sociales et sanitaires, une totale confiance dans les vertus de l’épargne (désormais laminée par l’inflation), un secteur assistanciel soigneusement contenu, un certain mépris pour le salariat, et une autoprotection indexée sur une capacité d’épargne très variable d’un individu à l’autre et d’un groupe social à l’autre. Elle aurait du même coup introduit un autre modèle, celui, également composite, des assurances sociales, marqué par une déterritorialisation et professionnalisation des politiques sociales, les élus locaux et réformateurs sociaux étant débordés par les conséquences du conflit. Tout en inventant de nouvelles catégories d’ayants-droits par assimilation de la guerre à un nouveau risque social : les mutilés de la guerre (loi Lugol du 31 mars 1919), couverts par une assistance aux allures d’assurance (présomption d’origine et indemnisation réparatrice fondée sur l’idée d’une dette sociale à leur endroit) ; les veuves de guerre et les pupilles de la Nation ; les sinistrés de la guerre ; et les anciens combattants dont le statut, créé en 1926 (carte d’ancien combattant), offre, en 1930, l’accès à diverses mesures de reconnaissance nationale (constitution d’une rente mutualiste abondée par l’État, attribution d’une indemnité annuelle, avantages fiscaux).
Axe 3 : Le troisième axe s’intéresse aux relations de concurrence ou de complémentarité et, plus généralement, aux interactions et interférences entre les formes systémiques de protection sociale, les politiques sociales incarnées et les acteurs privés et publics (mixed economy of welfare). Avec cette hypothèse que le paysage et les modalités concrètes des politiques sociales se sont trouvé bouleversés par le choix français en faveur de la prévoyance obligatoire. Cette dernière serait devenue l’axe pivot de ces politiques, à travers notamment leur financement par les caisses, dont l’action sanitaire et sociale (encore peu explorée par l’historiographie) a permis de renouveler et de coordonner des politiques léguées mais entravées par le polycentrisme originel de la protection sociale française. Il serait également possible d’envisager, toujours dans cet axe, les enjeux politiques, économiques et sociaux de l’articulation historique des retraites et assurances complémentaires avec la protection sociale systémique (assurances sociales dans les années 1930 et Sécurité sociale).
Axe 4 : Le dernier axe vise deux objectifs. D’une part, introduire une dimension comparative qui permette de relativiser ou de mieux cerner la spécificité du cas polymorphe français. Encore convient-il de préciser que la comparaison des systèmes de protection ne constitue pas un phénomène académique récent. Elle s’est développée dès la fin du XIXe siècle dans le cadre des congrès internationaux d’assistance et sur les assurances sociales qui faisaient circuler les réflexions théoriques et savoir-faire techniques afférents aux protections, tout en recevant, en France, des illustrations pionnières[23].
D’autre part et dans une perspective plus épistémique, confronter l’approche généalogique du « cas » polymorphe français à celle de la construction transnationale des principaux États sociaux. Il existerait, à cet égard, une distorsion ou une forte dissonance entre la première, qui s’appuie notamment sur les archives et les écrits des principaux acteurs de la protection sociale dont les références et les cadres de pensée sont avant tout nationaux, et les travaux en nombre croissant qui postulent une circulation des idées et des réformes entre pays comparables. Au point, d’ailleurs, de « pétrifier l’idée même de circulation » ou d’induire la « notion paresseuse d’influence » qui « fait s’arrêter aux portes de ce qui fait l’échange pour n’en considérer que le signe ». Comment expliquer ce décalage et comment restituer à cette « fertilisation croisée[24] » sa juste mesure, sa juste portée ?
La Revue française des affaires sociales sera particulièrement attentive aux propositions d’articles de synthèse dont la problématique tournera autour de la dynamique extensive et cohésive de la protection sociale. Des dossiers coordonnés, constitués d’articles autour de thématiques articulées, seront particulièrement appréciés. Compte tenu du champ très vaste proposé par cet appel à contribution et de l’abondance des travaux de toutes disciplines s’y rapportant, mais aussi dans le souci de préserver la force de proposition des auteurs, aucune indication de nature bibliographique n’est fournie. Il est en revanche demandé aux équipes ou auteurs de référer leur problématique à des travaux en sciences humaines et sociales, clairement identifiables, dont les références figureront en annexe des propositions.
Des informations complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être obtenues auprès de l’équipe de la revue :
Les auteur·e·s souhaitant proposer à la revue un article ou dossier sur cette question devront soumettre
la version définitive du texte avec un résumé et une présentation de chaque auteur·e (cf. les « conseils aux auteurs » de la RFAS [en ligne https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/Charte%20deontologique%20et%20conseils%20aux%20auteurs.pdf )
en respectant le caractère pluridisciplinaire de la revue et son exigence d’accessibilité pour un lectorat profane.
avant le mardi 09 avril 2024.
La RFAS s’engage à respecter son calendrier de publication. Les dates
indiquées sont donc fermes, sauf cas de force majeure. Merci de votre
compréhension.
Paul V. Dutton est historien de la santé et des politiques sociales à la Northern Arizona University, USA. Il est l’auteur de Beyond Medicine: Why European Social Democracies Enjoy Better Health Outcomes than the United States (Cornell University Press, 2021), Differential Diagnoses: A Comparative History of Health Care Problems and Solutions in the United States and France (Cornell University Press, 2007), et Origines de l’État-providence français : la lutte pour la réforme sociale en France, 1914-1947 (Cambridge University Press, 2002). Ses recherches actuelles portent sur les relations entre santé et mobilité.
Yannick Marec est professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université de Rouen Normandie. Président du conseil scientifique de la Société française d’Histoire des hôpitaux, il est également vice-président du Conseil scientifique du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale. Lauréat de l’Institut de France (Académie des Sciences morales et politiques) et de la SFHH, il a notamment dirigé l’ouvrage Accueillir ou soigner ? L’Hôpital et ses alternatives du Moyen Âge à nos jours (PURH, 2007) ; codirigé avec Daniel Réguer, De l’hospice au domicile collectif. La vieillesse et ses prises en charge de la fin du XVIIIe siècles à nos jours (PURH, 2013) ; et, en collaboration avec Jacques Poisat, Hôpitaux et médecine en guerre. De la création du service de santé militaire aux conflits contemporains (PURH, 2018) ainsi qu’Hôpital, ville et citoyenneté, (PURH, 2021). Il est aussi coauteur avec Antony Kitts et Olivier Vernier de La pauvreté et sa prise en charge en France 1848-1988 (Éditions Atlande, collection « Clefs Concours, Histoire », 2022).
Bruno Valat est agrégé d’histoire, maître de conférences à l’Institut national universitaire Champollion, Université de Toulouse. Spécialiste de protection sociale, il a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de la Sécurité sociale, des politiques sociales et de la santé, notamment Histoire de la Sécurité sociale. L’État, l’Institution et la Santé (1946-1967), Economica, 2001. Il a récemment publié Les Marchés de la Santé en France et en Europe, au XXe siècle (dir.), PUM, 2021. Il est secrétaire de la rédaction de la Revue d’Histoire de la protection sociale.
Vincent Viet est historien-chercheur au Cermes3 (CNRS, INSERM, EHESS et Université Paris-Cité). Membre des commissions scientifiques du Comité d’histoire des administrations chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (CHATEFP) et du Comité d’histoire de la Sécurité sociale (CHSS), il est notamment coauteur des ouvrages : Se protéger, être protégé : une histoire des assurances sociales en France, Rennes, PUR, 2006 ; et Pour une histoire plurielle du paritarisme. Fondements, formes et usages (XIXe -XXIe siècles), La Documentation française, 2021. Ses deux derniers ouvrages personnels sont : Votre travail nous regarde ! Enquête associative et institutionnelle sur l’Inspection du travail (1980-2020), Nancy, Arbre bleu Editions, collection « Le corps social », 2022, et La Santé en guerre, 1914-1918. Une politique pionnière en univers incertain, Paris, Presses de SciencesPo, Collection académique, 2015.
[1] Comme l’avait fait Henri Hatzfeld dans son ouvrage pionnier, Du paupérisme à la Sécurité sociale 1850-1940, Paris, Armand Colin, 1971. Il nous semble possible d’adopter un point de vue différent en partant du cœur de la société française à la Belle Époque (les couches moyennes non salariées avant 1914, socle électoral du Parti radical et radical socialiste et clientèle privilégiée de la prévoyance libre) et montrer qu’avec le lent recul de ces couches au profit des classes moyennes salariées (en passant par les « économiquement faibles » dans les années 1930) la couverture des classes moyennes (salariées ou non) fut en réalité l’enjeu historique – mais masqué et différé par la prévoyance libre – de l’État-providence à la française.
[2] C’est-à-dire centrées sur une forme particulière de protection.
[3] Par exemple, la création des assurances sociales en 1930 a eu un impact non négligeable, au reste chiffré annuellement par le ministère du Travail, sur les dépenses et le champ de l’assistance.
[4] Les études genrées sur (ou sur le caractère genré de) la protection sociale (dont le caractère familial, attesté par la couverture du conjoint et des enfants en cas d’affiliation, est mieux connu), restent jusqu’à présent peu historicisées. Pourraient notamment être mobilisées les données recueillies, dès les années 1930, par les services statistiques du ministère du Travail dans les rapports ministériels sur l’application de la législation des assurances sociales et sur l’application de la législation de sécurité sociale de 1930 à 1962 (https://sante.gouv.fr/ministere/documentation-et-publications-officielles/ressources-documentaires/article/rapports-sur-l-application-de-la-loi-des-assurances-sociales-et-sur-l). Voir aussi les enquêtes dont la Revue française du Travail, ancêtre de la RFAS s’est fait l’écho dès sa création en 1946.
[5] L’expression renvoie aux institutions, corpus de lois et conventions concernant chacune des grandes catégories de protection (assistance, prévoyance libre et prévoyance obligatoire) et, plus précisément, leur déclinaison par type de protection (bienfaisance privée, assistance publique, mutualité, coopération, retraites ouvrières et paysannes, réparation des accidents du travail, épargne…).
[6] Les historiens parlent d’assistance « moderne » pour désigner le renouvellement de cette protection à la fin du XIXe par rapport à sa version primitive depuis la Révolution française.
[7] Comme l’assurance automobile (1958) ou l’assurance habitation pour les locataires.
[8] Laroque, P. (1935), « Protection de la faiblesse physique et sociale », Encyclopédie française, section A – Activités et fonctions de l’État, T. X : L’état moderne. Aménagement et crise.
[9] Les promoteurs et tenants des assurances sociales (parmi lesquels les socialistes) ont longtemps cru ou affecté de croire que ces dernières finiraient par éradiquer l’assistance publique, perçue à tort ou à raison comme le fait du Prince (État, collectivités locales) dont l’humeur était jugée versatile.
[10] Dont le plus frappant est sans doute la coexistence du principe d’obligation sous-jacent aux assurances sociales, fût-ce, comme dans les années 1930, dans la limite d’un plafond d’immatriculation, avec celui d’une prévoyance libre faisant appel à l’initiative individuelle, les deux pouvant théoriquement se cumuler.
[11] Cette propension ne s’est pas démentie à la création des assurances sociales par les lois de 1928-1930 qui, sous la forme d’une institution unique (moyennant une double cotisation unique), ont couvert la plupart des risques sociaux alors identifiés (maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès), à l’exception du chômage et des risques professionnels. Elle s’est confirmée, en 1945, lorsque la Sécurité sociale a englobé, dans un système également unique, les anciennes assurances sociales, les allocations familiales et la réparation des risques professionnels.
[12] Il semble que la levée du refus libéral de l’obligation se soit soldée par un surcroît d’encouragement politique à la prévoyance libre, dont l’encadrement par l’État a été paradoxalement un facteur de bureaucratisation, bien plus qu’en Allemagne ou dans les États ayant adopté plus tôt le principe d’obligation (Viet V. (2018), « Comment suivre l’exemple de l’Allemagne sans perdre son âme ? Le pari de Fuster sur la Mutualité française dans la lutte contre la tuberculose », Edouard Fuster (1869-1935) et la construction de l’état social, Les Études sociales, n° 167-168, 1er et 2e semestres 2018, p. 157-179).
[13] Notamment entre l’assistance et l’assurance comme dans les années 1930 ou, plus récemment, à travers la CMU devenue PUMA.
[14] Un exemple parmi d’autres : le principe de libre adhésion inhérent à la Mutualité s’est trouvé récemment écorné par la mutuelle d’entreprise qui repose sur celui de l’obligation.
[15] D’où l’intérêt de revenir sur la continuité historique et fonctionnelle de la Sécurité avec les assurances sociales des années 1930 qui est sinon occultée, très souvent sous-estimée. Cette continuité extensive a été très peu travaillée par les historiens, politistes, économistes, juristes et sociologues. Sans doute parce que la Sécurité sociale a été perçue et présentée comme une institution sui generis ou ex nihilo (y compris par ses promoteurs), ou comme le fruit des luttes ouvrières.
[16] C’est tout l’enjeu des études se réclamant du courant mixed economy of welfare. Voir notamment le dossier que lui consacre le n° 15 de la Revue d’histoire de la Protection sociale, 2022 : Nouveaux terrains de l’économie mixte du Welfare (XIXe-XXe siècles).
[17] Par « modèle social de protection » nous entendons une configuration de protections agencées entre elles, en rapport (ce qui ne veut pas dire en adéquation) avec la structure sociale de la société à un moment donné. Par exemple, le modèle social d’avant 1914 s’organisait autour d’un pôle assistanciel tourné vers les indigents et les privés de ressources, une prévoyance libre prédominante en direction de la bourgeoisie et des classes moyennes non salariées, fondée sur l’épargne, le capital et la rente foncière, et un embryon de protection des « économiquement faibles » (population ouvrière et paysanne salariée).
[18] On pourrait parler ici de « socialisation » de la prévoyance obligatoire dans la mesure où celle-ci remporte tous les suffrages des Français.
[19] Ce que Robert Castel a pu qualifier historiquement de « propriété des non-propriétaires » (le droit du travail et la protection sociale).
[20] Comme en témoigne le succès, dès les années 1930, de l’assurance maladie-maternité en dépit de cotisations prélevées sur des salaires très modestes.
[21] Ces arrangements peuvent être aussi de nature institutionnelle, financière ou juridique : entre la Sécurité sociale et la Mutualité qui a perdu son rôle de gestionnaire des assurances sociales en 1945 tout en conservant sa fonction complémentaire ; entre les pouvoirs publics et les assurances privées qui ont perdu, en 1945 (nationalisation des onze plus grandes compagnies), leur rôle (lucratif) de leadership dans la réparation des risques professionnels, mais ont obtenu l’assomption des risques habitation et automobile, etc.
[22] Par exemple, l’assimilation progressive des mutilés du travail aux mutilés de la guerre.
[23] Citons notamment la contribution de Paul Pic (1913), Les assurances sociales en France et à l’étranger, Paris, Librairie Félix Alcan.
[24] Les citations sont empruntées à Pierre-Yves Saunier (2003), « Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la public administration aux états-Unis (1930-1960) », Revue française de science politique, n° 2, avril, p. 237-255.