Appel à contribution pluridisciplinaire sur :
« Représentations sociales et catégorie d’action publique des âges en France et au Canada : où en sommes-nous en 2022 ? »
Pour le numéro de juillet-septembre 2022 de la RFAS
Le dossier sera coordonné par Laëtitia Ngatcha-Ribert (Université Le Havre-Normandie – Laboratoire IDEES), Bernard Ennuyer (ETRES), Marie Beaulieu (Université de Sherbrooke) et Martine Lagacé (Université d’Ottawa).
Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en démographie, sociologie, économie, science politique, gestion, psychologie, communication, philosophie, droit, anthropologie, ainsi qu’aux acteurs du champ sanitaire et médico-social.
Les articles sont attendus avant le jeudi 10 mars 2022
Une réunion de travail est proposée aux contributeur·trice·s potentiel·le·s le mardi 15 février au matin dans les locaux du ministère (salle 4111 R, entrée par le 18 place des Cinq-Martyrs du Lycée Buffon, métro Gaîté, Pasteur ou Montparnasse) avec une possibilité de participer également à distance. Vous pouvez nous signaler dès maintenant votre intérêt à l’adresse : RFAS-DREES@sante.gouv.fr
Si la désynchronisation des différents âges de la vie et la fin de la vision ternaire du parcours de vie ne font pas de doute, les politiques publiques ont grandement et longtemps contribué à encadrer les âges (Guillemard, 2010), à l’aune de différentes normes mouvantes et d’une « police des âges » politico-administrative. Celle-ci a notamment contribué à délimiter les âges de la jeunesse et de la vieillesse, par la suite mise en cause (Percheron, 1991). Depuis le Secrétariat d’Etat français aux personnes âgées de 1982 (circulaire du 7 avril), qui a instauré une « stigmatisation institutionnalisée » (Ennuyer, 2020), il est vrai que l’on peut se demander : les politiques publiques en France et au Canada n’auraient-elles pas jusque-là contribué à une ségrégation des publics ciblés, en procédant, par une logique discriminatoire, à une séparation entre les différents types de populations et notamment entre personnes âgées et personnes handicapées ?
Conjointement, les inégalités sociales continuent, peut-être plus que jamais, à fracturer la société. On peut rappeler que chaque individu est le fruit d’un entremêlement certes de variables d’âges et de générations, mais aussi de genre, de classes sociales ou de groupes identitaires ou minoritaires. Dans ces conditions, dans quelle mesure ces déterminants s’entrecroisent-ils ? Attiser les braises d’une fantasmée guerre des générations ne fait-il pas que tenter de masquer leur force (Peugny, 2020) ? Que nous révèle en particulier la pandémie mondiale ? Paradoxalement, si certains redoutent une « lutte des âges », jamais l’intergénérationnel n’a autant été porté par différents acteurs et notamment par les pouvoirs publics, par exemple à travers la notion de société inclusive. Sur une longue période, est-on sûrs que les valeurs exprimées par les Européens ne divergent pas autant qu’on pourrait le penser en fonction de l’âge (Galland, 2021) ? Est-on sûrs que les attitudes et comportements au travail varient d’une génération à l’autre (Saba, 2017) ? In fine, au-delà des questions d’âge et de génération, lorsqu’est constatée une « explosion des inégalités » qu’aurait amplifié la pandémie de la Covid-19 (Lambert & Cayouette-Remblière, 2021), quelle place attribuer à l’âge, mais aussi au genre, à la classe sociale voire au statut social, au niveau d’éducation, à l’appartenance religieuse, philosophique, ethnique, à l’orientation ou l’identité sexuelle… ? N’existe-t-il pas des profils de populations plus en difficulté face aux discriminations liées à l’âge ? Comme l’affirme la sociologue Juliette Rennes, « l’usage politique des catégories d’âge masque et euphémise souvent d’autres rapports de pouvoir » (Rennes, 2009). Ne faut-il pas dès lors remettre au cœur des questions d’âge la question des catégories sociales en mettant en regard le critère de l’âge et une grille de lecture fondée sur les inégalités sociales et le positionnement social ? N’est-il pas plus facile de vivre sa jeunesse ou sa vieillesse en détenant certes du capital économique, mais aussi du capital social et culturel, pour évoquer Bourdieu ? Quelle est la bonne clef de lecture ?
Au vu de ces éléments, et dans une perspective de dialogue entre recherche et politiques publiques, nous aimerions poser la question suivante : Dans quelle mesure, à la lumière des travaux des deux côtés de l’Atlantique, l’âge est-il toujours un prisme pertinent pour analyser le monde social aujourd’hui, comprendre la réalité d’une part des jeunes et d’autre par des âgés/aînés, mais aussi leurs interrelations à travers la mise en place de politiques dites intergénérationnelles, leur image dans la société et le traitement dont ils font l’objet par les médias ou les pouvoirs publics ?
Ainsi, au-delà des peurs actuelles, comment l’âge et les critères d’âge au sein et au fondement de certaines actions publiques peuvent-il être, en 2022 repensés, voire éventuellement remis en question et dépassés ? A l’inverse, peut-on considérer que le contexte récent a permis plus ou moins légitimement de mettre au premier plan ce critère de décision d’action publique ?
Les trois axes problématisés suivants sont proposés pour structurer le numéro.
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1/ Les actions publiques ciblées sur des critères d’âges et de générations
Seront interrogées les actions menées par les pouvoirs publics ou par des acteurs mobilisés et partie prenante des politiques publiques.
On pourrait ainsi se demander : les politiques publiques ne sont-elles pas âgistes lorsqu’elles ciblent, donc réduisent et enferment, des catégories de personnes en fonction de leur âge ? ou en fonction des présumés problèmes que le groupe social pose ou serait supposé poser au reste de la société (perçues comme généralement coûteuses en raison de maladies et de la dépendance…) ? Pourtant, une société qui se voudrait inclusive ne serait-elle pas une société dans laquelle chaque habitant, quel que soit son âge, ou ses autres attributs, en serait un membre à part entière? Or, pour beaucoup, la façon dont la France a institué et conservé une prise en charge différenciée du handicap et de la dépendance, fondée sur la barrière de 60 ans, s’apparente à une discrimination.
A l’inverse, plusieurs autres pays ont fait des choix différents, sans distinction selon l’âge mais en fonction des besoins des personnes : comment peut-on expliquer ces choix ? Comme l’affirme René Rémond, « Depuis quelque trois cent ans, la société française, civile et politique a fait de cette division par âges un régulateur de la distribution des individus et le principe majeur de réglementation des activités de toute nature » (Rémond, 1991). Comme l’écrit Annick Percheron, dans le chapitre : police et gestion des âges du même ouvrage, « dans aucun Etat, sauf peut-être les États Unis des « civils rights », l’âge n’a fait l’objet en tant que tel, d’une politique publique particulière. Pourtant depuis l’époque moderne, la police des âges constitue une dimension essentielle de toute action politique. L’exercice par l’État de ses fonctions fondamentales d’ « instituteur du social », de « réducteur des incertitudes » ou de « régulateur de l’économie »[1] a partout conduit celui-ci à gouverner et à réglementer les âges. Avec pour conséquences un bouleversement des définitions et des perceptions des âges de la vie (…) Au travers des politiques de la famille, de l’éducation, de la protection sociale et de la santé, au travers de la mise en œuvre des systèmes de retraites et de préretraites, les pouvoirs publics ont régi peu à peu –quand ils ne les ont pas inventés-la prime enfance, la jeunesse, le troisième, le quatrième âge, bref tous les âges de la vie, sauf l’âge adulte. »
Sont générées par principe des situations liminaires que d’autres politiques publiques vont tenter de « lisser » : les débats politiques et sociaux autour d’un « RSA jeune », d’une allocation universelle jeune en sont l’exemple parfait. La limite d’âge de 25 ans, dont on se souviendra que ce seuil a été fixé de manière relativement aléatoire après les débats parlementaires relatifs au RMI entre les tenants d’une assistance publique et les tenants d’une solidarité familiale. En 2009, la mise en lumière de ces situations d’entre-deux a conduit le président de la République de l’époque à proposer un « RSA Jeune actif ». On pourra illustrer la limite des « âges seuil » en s’intéressant également à la question de l’âge de la retraite et des chômeurs âgés, dont le calcul ou la durée des droits sont aménagés relativement à l’âge (article 3 et 9 du Règlement d’assurance chômage). On pourra aborder le fondement souvent territorial des politiques jeunesse et vieillesse, l’aide sociale étant décentralisée. En outre, en prétendant à l’homogénéité dans l’âge, en considérant la population âgée ou la population jeune comme des ensembles monolithiques, en gommant les spécificités de chaque individu (générations, classes sociales, genres, territoires de vie, statuts matrimoniaux, appartenances culturelles, religieuses et philosophiques…) et en attribuant à leur catégorie dans leur globalité des qualités et des défauts, c’est-à-dire en l’occurrence ici surtout les stéréotypes habituels négatifs associés à la grande vieillesse (déclins, pertes et déficits, notamment cognitifs) ou à la jeunesse (insouciance, irresponsabilité, manque d’autonomie…), n’est-on pas dans une homogénéité sociale « fallacieuse » (Ennuyer, 2020) ? Pour prendre un exemple extrême, quels points communs existe -t-il entre la personne de 60-65 ans qui continue à travailler et une personne centenaire ? Dans un autre registre, n’est-ce pas une forme d’âgisme de regrouper par exemple dans les sondages d’opinion ou les enquêtes quantitatives les personnes entre 18 et 34 ans d’une part et toutes les personnes de plus de 65 ans d’autre part ? Comme le signalait Pierre Bourdieu, « la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des données mais sont construites socialement, dans la lutte entre les jeunes et les vieux. Les rapports entre l’âge social et l’âge biologique sont très complexes » (Bourdieu, 1984).
2/ L’existence des discriminations elles-mêmes, y compris légales, et leur vécu
Le ciblage et le découpage de la population n’interviennent-ils pas souvent, selon une logique de discrimination positive, par souci de protection sociale des publics visés ? Il n’est qu’à penser aux débats sur les seuils d’âge de départ en retraite mais aussi à toutes les possibilités qui permettent aux seniors ou aux aînés (comme d’autres publics) de bénéficier de tarifs plus avantageux ou de réductions d’impôts. Dans cet axe seraient questionnés les dispositifs, liés à l’emploi notamment, qui autorisent une certaine forme de discrimination positive. On pourra penser aux mesures œuvrant au maintien dans l’emploi des travailleurs de plus de 50 ans ou aux leviers politiques favorisant le recrutement des jeunes travailleurs.
Le monde du travail est probablement l’un des secteurs qui a été le plus documenté sur cet aspect, que ce soit en raison des stratégies volontaires de sortie précoce des seniors de l’emploi mise en œuvre (Poussou-Plesse, 2007 ; Moulaert, 2012 ; Ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des aînés, 2018 et 2014) ou des politiques actives d’emploi à l’attention des jeunes dans une visée d’insertion professionnelle et sociale, au cœur de l’interrogation sur l’existence d’un « modèle français » d’activation de la protection sociale (Barbier, 2002 ; Barbier, 2008). Récemment également, des mesures de soutien ont été mises en place pour les étudiants (en France mais aussi au Canada à travers les annonces du premier Ministre Justin Trudeau, le 28 avril 2021). L’accès à l’emploi et à la formation professionnelle est également un enjeu important de part et d’autre de l’Atlantique (par exemple en France avec « un jeune, une solution » et au Canada avec le rapport du groupe d’experts sur l’emploi des jeunes en 2017). Certains ont demandé des « mesures sociales d’urgence » comme un revenu minimum pour les moins de 25 ans et l’extension des aides sociales de droit commun aux 18-25 ans (Huillery, 2021).
A l’heure où des appels à des approches plus transversales des âges de la vie sont lancés (Van de Velde, 2015), qu’entraîneraient dès lors des politiques « neutres » du point de vue de l’âge ? Si en 2009, certains appelaient à une prudence vis-à-vis de ces dernières, la discrimination par l’âge étant une réalité ambivalente mêlant exclusion et inclusion (Caradec et al, 2009), qu’en est-il en 2021 ? Ne risque-t-on pas, par des mesures spécifiques, d’alimenter justement cette « guerre des âges » visiblement tant médiatisée et tant redoutée ? Comme le soulignait Geneviève Laroque : « Nous avons à revoir notre regard sur la vieillesse, mais sûrement pas en prenant des dispositifs spécifiques à son profit, parce que son profit deviendra son tort. Par contre, nous sommes obligés de prendre des dispositions importantes, de façon à venir en aide aux personnes en situation de maladie chronique invalidante ou handicapante avec des soins de longue durée » (citée dans Ennuyer, 2012). Et en quoi la notion de discrimination systémique reconnue dans une décision de 1987 par la Cour Suprême du Canada peut-elle permettre de repenser les catégories juridiques liées à l’âge dans une vision de l’inclusion des personnes vieillissantes (Mercat-Bruns, 2021 ? Les contributions pourront aussi explorer les mesures mises en place dans l’objectif de créer de l’intergénérationnel, comme nouvelle injonction des rapports entre classes d’âge.
Sera portée une attention particulière sur le vécu des personnes concernées, leurs « expériences concrètes » et sur les effets tant sociaux qu’individuels de ces politiques des âges.
Il s’agira de chercher à comprendre la manière dont ces publics bénéficiaires réceptionnent les discours et vivent leur recours à ces dispositifs. Si ce type de questionnement a déjà été traité autour des politiques ciblant les travailleurs handicapés ou visant à favoriser l’égalité homme-femme, nous disposons de peu de travaux de recherche questionnant l’effet des politiques des âges sur leurs bénéficiaires. Quels sont les effets tant sociaux qu’individuels de ces politiques des âges ? Comment chacun s’arrange-t-il avec ces catégories et ces politiques publiques ciblées sur l’âge ? Quelle est la réalité des barrières dans le quotidien des personnes concernées ? Quels pans de la société sont-ils concernés ? Comment vivent-ils ces dispositifs ? Quid de leur intégration dans un collectif de travail ? Se perçoivent-ils ou sont-ils perçus comme illégitimes à occuper tel emploi ? Quelles sont leurs relations avec les personnes d’autres générations ? Bénéficient-ils d’un « accompagnement » qui permet de mettre en œuvre la solidarité collective sous une forme renouvelée (Outin, 2016) et comment l’appréhendent-ils ?
Les contributeur·trice·s exploreront les expériences concrètes de l’âgisme, ainsi que les conditions de production de cette réalité sociale pour les personnes. L’âgisme peut en effet se manifester de façon très diverse au quotidien : par des remarques ou des comportements, par des pratiques plus ou moins institutionnalisées, voire plus ou moins légales, mais aussi par un monde extérieur moins accueillant comme des aménagements urbains peu adaptés ou bien encore par l’invisibilisation des personnes âgées et l’absence de prise en compte de leur voix (Caradec, 2017). Le Défenseur des droits indique d’ailleurs que « les discriminations liées à l’âge ont la caractéristique d’être largement invisibilisées ou tolérées parce qu’elles sont fortement intériorisées et banalisées » (Défenseur des Droits, 2013), tout comme le constate l’OMS dans son rapport.
Pourtant, s’il est toujours difficile, pour ne prendre que quelques exemples, de se faire recruter ou d’être recruté avant un certain âge et un certain nombre d’années d’expérience, d’être formé dans certains lieux de travail après 50 ans, d’obtenir un crédit pour une nouvelle habitation, que ce soit en France ou au Canada, ne peut-on avancer aussi que des évolutions sont notables en la matière ? Les prises de paroles par exemple des personnes âgées elles-mêmes, leurs mobilisations parfois par la voix d’associations comme Old up en France, l’Association canadienne des retraités ou le Réseau FADOQ au Québec en témoignent. Les actions de plusieurs institutions veillant à la non-discrimination du public âgé comme la Halde puis le Défenseur des Droits ou le CSA en France, La Commission canadienne des droits de la personne, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au Québec peuvent aussi en attester. A cet égard, hormis les institutions publiques, quels sont les acteurs qui portent le combat contre l’âgisme ? Comment des collectifs de professionnels (ergothérapeutes au Canada, gériatres en France) ou des associations de défense des personnes âgées, comme en France la FIDES (fédération interrégionale pour l’emploi des seniors), en Ontario, la Fédération des aînés et des retraités francophones, au Québec l’AQDR (l’association québécoise des droits des personnes retraitées et pré-retraitées) ou le Réseau FADOQ, conçoivent-elles leur rôle pour contrer notamment les discours jugés infantilisants et paternalistes ?
Autre exemple, on pourra accueillir des enquêtes de terrain sur les pratiques dans le monde sanitaire, mais aussi médico-social, que ce soit avant ou depuis la pandémie mais aussi sur les discours contradictoires qui ont été et sont tenus aujourd’hui sur les personnes dites vulnérables et considérées comme à protéger et donc à enfermer. D’ailleurs, longtemps l’âgisme a été présenté comme un terreau fertile au développement de la maltraitance. En réalité, il est souvent vécu en soi comme une maltraitance par les aînés (Beaulieu et Crevier, 2013). En l’occurrence, fallait-il un traitement à part des plus de 65 ans lors de l’établissement des mesures barrières face à la COVID-19 et de leur assouplissement ? Que penser face au manque de places dans les services de réanimation de la « sélection », voire du « tri », un temps envisagé et sûrement pratiqué dans les faits dans la mesure où la réanimation serait pour certains organismes délétère, des patients en fonction d’un critère d’âge ? Que révèle par exemple, au début de la crise, la non visibilisation des morts âgés et leur non comptage dans les statistiques, que ce soit en EHPAD ou à domicile, comme le soulignait récemment un avis de l’INPEA (International Network Prevention of Elder Abuse) (Beaulieu, Cadieux Genesse, St-Martin, 2020) ? Plus généralement, en dehors du contexte épidémique, n’existe-t-il pas une tendance à la renonciation aux soins face aux personnes très âgées ? Est-il facile de se faire opérer ou de se faire traiter pour un cancer quand on a plus de 80 ans par exemple ? Les années de vie après 80 ans sont-elles du « bonus »[2] qui devrait conduire à ne pas trop réclamer ? Quelles sont les attitudes des soignants et leurs contraintes éventuellement institutionnelles dans ces situations ?
Plusieurs contributions pourraient donc porter sur les formes expérientielles d’âgisme, à la fois dans la vie quotidienne des personnes, mais aussi dans les fictions et les médias. En effet, à partir des conditions de vie des personnes, mais aussi des représentations sociales du « vieux » ou des « aînés » ou des « jeunes » dans différents supports, nous souhaitons questionner les réalités, mais aussi les imaginaires sociaux, fondements de toute culture, ce sera l’objet du troisième axe.
3/ Quelles représentations sociales et assignations sociales associées ?
Cet axe propose de porter un regard croisé sur le traitement fictionnel et médiatique des seniors comme des jeunes en France et au Canada.
A l’heure où l’Organisation Mondiale de la Santé vient de faire paraître en 2021 un rapport de près de 200 pages consacré à l’âgisme, cet axe serait centré sur un sujet s’il en est d’actualité, l’âgisme comme phénomène « complexe », « changeant » et « ambiguë » (Lagacé, 2013). Pour l’OMS, il est question d’âgisme « lorsque l’âge est utilisé pour catégoriser et diviser les personnes de telles façons qu’elles subissent des préjudices et des injustices, qu’elles sont désavantagées ». L’âgisme désigne ainsi les stéréotypes (modes de pensée), les préjugés (sentiments) et la discrimination (comportement) à l’égard des personnes en raison de leur âge (OMS, 2021). En outre, « l’âgisme s’accompagne aussi d’indifférence, de rejet, d’exclusion, d’infantilisation, de stigmatisation et de moqueries » (Lévesque et Beaulieu, cité dans Beaulieu et Crevier, 2013). On parle aussi de « discriminations liées à l’âge » (Ennuyer, 2020), terme qui comporte lui-même une ambiguïté, puisqu’il peut, selon les cas, désigner d’une part les préjugés et les discriminations à l’encontre des personnes âgées ou aînées de 60 ans et plus, ou d’autre part plus largement, ceux qui sont liés à l’âge en général (Puijalon & Trincaz, 2000), cette dernière sera notre angle de vue privilégié.
Dans un contexte où deux paradigmes porteurs de nouvelles normes sont devenus en peu de temps dominants, celui d’une part de sociétés se voulant plus « inclusives » (Gardou, 2013 ; Ngatcha-Ribert, 2018), mais aussi celui d’autre part du « bien vieillir », qui mettrait à distance les formes jugées les plus dégradantes du vieillir à l’aide notamment de la prévention (Puijalon, Trincaz, 2000), différents acteurs, y compris les pouvoirs publics, tentent aujourd’hui de mettre en place des initiatives et des stratégies visant à lutter contre l’âgisme (Dufeu-Schubert, 2019 ; Conseil des Aînés du Québec, 2010). L’OMS préconise à cet égard trois types de stratégies pour lutter contre l’âgisme : les politiques et les lois, des interventions éducatives et enfin des interventions favorisant des contacts intergénérationnels. Des campagnes de communication (comme par exemple : Yearsahead de l’OMS en 2016) visent notamment à faire évoluer les regards et les pratiques, et à présenter notamment l’avancée en âge comme une chance et non comme un fardeau ou comme un dépérissement.
Sur un registre plus de l’ordre de l’imaginaire, cet axe accueillerait les études portant sur l’âgisme et l’analyse des représentations des personnes jeunes ou âgées, notamment dans les fictions (cinéma, littérature…) et les médias. Des évolutions sont notables en la matière, notamment si l’on considère par exemple les représentations à l’égard des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui deviennent plus nuancées et plus complexes que dans le passé (Ngatcha-Ribert, 2019). Toutefois, en France, d’après le Baromètre de diversité de la société française du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, les personnes âgées de plus de 65 ans ne représentent que 6 % des personnes indexées[3] alors qu’elles sont recensées à hauteur de 21% de la population française (CSA, 2019). Entre les représentations souvent négatives où la grande vieillesse semble notamment « Alzheimérisée », les troubles cognitifs semblant être le paradigme dominant (Adelman, 1995 ; Billé, 2014) et les représentations faussement positives de personnes qui ne vieillissent pas et constituent dès lors un modèle inaccessible, il semble exister avec ces modèles paradoxaux peu de place pour une vieillesse « ordinaire » et des représentations sociales réellement plus positives (Lagacé, 2010). Comment représenter avec justesse, c’est-à-dire sans angélisme ni misérabilisme, la réalité des plus de 60 ans et surtout leur diversité ? Pourquoi certaines figures dominantes et donc des représentations sociales dominantes, des personnes qui avancent en âge mais aussi des plus jeunes, finissent-elles par s’imposer ? Est-ce un effet de « simplification du réel » ? Le besoin de caricaturer ? Une conséquence des peurs individuelles et collectives ?
Ces derniers temps, des récits ont porté la voix et le témoignage de personnalités ou de chercheures qui avancent en âge, comme Laure Adler et Rose-Marie Lagrave en France ou Janette Bertrand et Jocelyne Robert au Québec pour qui, plus de cinquante ans après l’ouvrage de Simone de Beauvoir, la vieillesse demeure un impensé. Parfois prophéties autoréalisatrices (la menace d’un stéréotype pouvant pousser les individus à conformer leurs propres comportements à ce stéréotype) ou injonctions normatives au vieillir actif et en bonne santé, quelles conséquences ont ces images et les invisibilités sélectives (en fonction de quels critères implicites ?) sur les personnes qui « avancent en âge » ? Les discriminations étant parfois si complexes et si subtiles, chacun n’est-il pas à risque, y compris les plus avertis, d’intérioriser les injonctions idéologiques (Huillery, 2021) et moralisatrices (Dauphin, 2017 ; Lima, 2016) ? Des jugements pouvant être rapidement portés sur le caractère conforme ou déviant des conduites et des modes de vie, par exemple des jeunes. Pour faire face aux tabous et aux préjugés, peut-on proposer des représentations alternatives plus positives de la jeunesse, de la vieillesse et des vulnérabilités ? Comment toucher et agir auprès des jeunes générations ? Pourront aussi être étudiés les mots, expressions et terminologies de tous les jours, prononcés souvent sans y penser, avec des expressions comme « to have a senior moment »[4] ou « ok boomer ![5] ». Les contributions pourront également explorer les représentations sociales des relations intergénérationnelles comme nouvelle injonction des rapports entre classes d’âge.
Références indicatives
Adler Laure, 2020, La voyageuse de nuit, Paris, Grasset.
Adelman Richard, 1995, “The Alzheimerisation of Aging”, The Gerontologist, Vol. 35, n°4, p. 436-443.
Barbier Jean-Claude, 2002, « Peut-on parler “d’activation” de la protection sociale », Revue française de sociologie, n°43-2, p. 307-332.
Barbier Jean-Claude, 2008, « L’« activation » de la protection sociale : existe-t-il un modèle français ? », Dans : Anne-Marie Guillemard, Où va la protection sociale, Paris, Presses Universitaires de France, p. 165-182.
Beaulieu Marie, Julien Cadieux Genesse, St-Martin Kevin, 2020, « Covid-19 and residential care facilities : issues and concerns identified by the international network prevention of elder abuse (INPEA)”, The Journal of Adult Protection, https://cnpea.ca/en/resources/studies/1180-covid-19-and-residential-care-facilities-issues-and-concerned-identified-by-the-international-network-for-the-prevention-of-elder-abuse
Beaulieu Marie & Crevier Marie, 2013, « Quand l’âgisme mène à considérer toutes les personnes aînées comme étant vulnérables et sujettes à la maltraitance », Vie et vieillissement, v. 11, n°1, p. 5-11.
Bertrand, Janette, 2016, La vieillesse par une vraie vieille. Montréal, Libre Expression.
Billé Michel, 2014, La société malade d’Alzheimer, Toulouse, Erès.
Bourdieu Pierre, 1984, « La jeunesse n’est qu’un mot », dans Questions de sociologie, éditions de Minuit, p. 143- 154.
Butler Robert, 1969, Why survive? Being old in America, New York, Harper & Row.
Butler Robert, 2005, “Ageism: Looking back over my shoulder”, Generations, n° 29, p. 84 -89.
Caradec Vincent, 2017, « L’épreuve du grand âge et ses enjeux. Une lecture sociologique du vieillissement au grand âge », La revue de gériatrie, T.42, n°9, p.
Caradec Vincent, Poli Alexandra, Lefrançois Claire, 2009, « Les deux visages de la lutte contre les discriminations par l’âge », Mouvements, Vol.59, n°3, p. 11-23.
Charles Nicolas, Portela Mickaël, Raynaud Emile, 2019, « Un regard renouvelé sur les ressources des jeunes : ressources matérielles, soutien, accès aux capacités », Revue Française des Affaires Sociales, n°2.
Comité consultatif national d’éthique, 2018, avis n°128 du 15 février 2018. Enjeux éthiques du vieillissement. Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? Quels leviers pour une société inclusive pour les personnes âgées ?, 68 p.
Conseil des Aînés du Québec, 2010, Avis sur l’âgisme envers les aînés : état de la situation, 103 p.
Courrier International, « La lutte des âges », 19 mai 2020.
CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), 2019, https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Observatoire-de-la-diversite/Barometre-de-la-diversite-de-la-societe-francaise-resultats-de-la-vague-2019
Dauphin Sandrine, 2017, « Pauvres jeunes. Enquête au cœur de la politique sociale de la jeunes ». CR de lecture de l’ouvrage de Léa Lima, Revue des politiques sociales et familiales, n°125, p. 97-98.
Défenseur des droits, fiche thématique : « les discriminations liées à l’âge ». https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=19577
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Ennuyer Bernard, 2012, « L’engagement de Geneviève Laroque dans le collectif une société pour tous les âges », Gérontologie et société, n°143, p. 15-22.
Galland Olivier, 2021, « Les générations au prisme des valeurs », Futuribles, n°441, p. 51-64.
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Guillemard, Anne-Marie, 2010, Les défis du vieillissement. Age, emploi, retraite, perspectives internationales, Paris Armand Colin.
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Van de Velde Cécile, 2015, Sociologie des âges de la vie, Paris, Armand Colin.
Des informations complémentaires sur le contenu de cet appel à contribution peuvent être obtenues auprès des coordonnateurs aux adresses suivantes :
Les auteur·e·s souhaitant proposer à la revue un article sur cette question devront l’adresser avec un résumé et une présentation de chaque auteur·e
(cf. les « conseils aux auteurs » de la RFAS [en ligne https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/Charte%20deontologique%20et%20conseils%20aux%20auteurs.pdf )
à cette adresse:
avant le jeudi 10 mars2022
[2] Xavier Lescure, chef de service à l’hôpital Bichat à Paris, France Inter, 24 janvier 2021.
[3] L’indexation de chacun des sept critères est réalisée en tenant compte des catégories de sens commun supposées, c’est-à-dire, selon la perception qu’en aurait la plupart des téléspectateurs. Pour l’âge : – de 20 ans, [20-34 ans], [35-49], [50-64], [65 ans et plus].
[4] Avoir un trou de mémoire, qui serait présumé caractéristique de la population âgée.
[5] Expression adressée aux plus de 50 ans par les plus jeunes, indiquant que ces derniers en avaient assez des leçons données par les « baby-boomers », qui ont connu le plein emploi et la croissance, auraient dépensé sans limite et ne se seraient pas préoccupé de l’état de la planète.